Chapitre 9, partie 2 : les mots et les actes (Louis)

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J'ai à peine eu le temps de boire une bière en restant terrée dans la cuisine que l'appartement de Juliette s'est rempli de gens. Ça me fait bizarre de me dire que toutes ces personnes inconnues sont ses gens connus pour elle. Son entourage. Des tas de petits plus un. Et qu'aucun ne sait que je suis le père de son futur enfant, du bébé qu'elle a dans le ventre. D'ailleurs, est-ce qu'ils savent même qu'elle a un bébé dans le ventre ? Je suis coincé dans la cuisine avec le mec qui m'a filé un autographe quand j'ai retrouvé Juliette dans le cavé. Il s'appelle K  et il me trouve marrant, apparemment, vu qu'il n'arrête pas de me répéter.

— T'es « rant-ma » toi !

Il me saoule. J'essaie de prouver à Juliette qu'elle a eu raison de ne pas me virer sur le champ. Que je sais bien me tenir. Que je vais attendre avant de lui parler même si je suis là juste pour ça ! Que je ne suis pas un risque pour sa vie en général et pour sa soirée en particulier ! Alors je rentre dans le délire de l'autre. Et j'ai vite compris que son obsession c'est « parler de lui ». Apparemment je suis censé le connaitre (dans le sens où il est connu). Mais moi je ne connais jamais rien. C'est mon côté boomer. J'aime George Brassens et je n'aime pas les réseaux sociaux. Je surveille du coin de l'œil voir si je ne vois pas Juliette. Mais, non pas de Juliette. Que des gens qui viennent chercher des bières dans le bac à légumes. J'écoute à peine ce que K me dit. Je dis de temps en temps...

— ah ouais... chaud !

... ce qui veut à la fois tout et ne rien dire. Ça lui suffit et moi je gagne du temps. Juliette est loin, dans l'autre pièce. Je réalise peu à peu que je ne peux pas compter sur un coup de baguette magique de la vie. Il est temps que je me sorte de ce bourbier et de cette cuisine où elle n'est pas. C'est super dur de trouver une excuse pour arrêter de parler à quelqu'un en soirée. En général, on sort un « je vais me chercher un truc à boire », mais là on est littéralement dans la pièce des « trucs à boire ». Si je lui dis que je veux aller fumer un spliff à la fenêtre, il va sûrement vouloir me suivre. Faut que je trouve un truc super boring pour lui. Un anti-K.

— Je dois aller me mettre des gouttes dans les oreilles.

Je ne sais pas pourquoi j'ai sorti ça. En plus, j'ai jamais eu de gouttes dans les oreilles, juste j'ai dû le faire sur le chat du voisin quand ils étaient partis en vacances. Mais ça a l'air de marcher, K se tourne déjà vers une autre oreille, qui pourra l'écouter sans vouloir en placer une et qui sera sûrement aussi « rant-ma » que moi.

Dans le salon, il y a une vingtaine de personnes qui parlent tout en mini-dansant. Je ne sais pas comment les gens font ça, moi j'ai jamais su faire deux choses à la fois. Moi quand je parle, mes pieds ont besoin de réfléchir aussi. Les invités dansent et moi je ne comprends rien à la musique qui passe. Ça a l'air d'être un truc hype. Je dis ça dans le sens où ce ni dansant ni marrant et que les gens ont quand même l'air d'être envoutés. Ils sont tous en rythme. Faut croire que dans cette soirée tout le monde est en rythme sauf moi. Moi je me sens comme un chat dans une fourmilière : pas super adapté et encore moins à l'aise. Juliette parle à une fille. « Ju » se tient droit comme un i, je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi peu détendu à une soirée. L'autre meuf n'a pas l'air ravie non plus. Entre les deux on dirait qu'il y a un énorme poteau, une frontière en trois dimensions. Je ne comprends même pas pourquoi elles se parlent. Mais bon, là, clairement dans cette soirée, je ne comprends rien. La seule chose que je sais c'est qu'elle est toujours aussi belle et aussi loin de moi. Je me dirige vers la fenêtre. Je crois que je vais me fumer un joint même si c'est plus le genre de soirée où on prend de la coke. Je ne juge pas, je constate juste que les gens ont plus envie de jouer au tennis que de déconstruire le monde. J'ai à peine le temps de me mettre à rouler mon stick que je sens une main qui me touche l'épaule. Un geste d'abord sure de lui puis qui hésite l'instant d'après. Je sais immédiatement que c'est elle. C'est mon corps qui me le dis.

Pas de Son AgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant