— On pense que c'est mieux si désormais c'est Sara qui s'occupe de K.
Okay. Là, j'ai officiellement le droit de paniquer !
En plus, le gars qui pense que sa casquette cache sa calvitie ajoute :
— Je suis sûr que c'est un soulagement pour toi ?
Il est sérieux ? Un soulagement ?!!! Mais c'est une énorme claque, oui ! Un coup de pied retourné en mode ninja ! Un... Un... le truc là, comme quand je regarde Love Island (c'est de la Real TV, j'adore, ne me jugez pas, j'assume, mais ne me jugez pas quand même) et que les mecs qui sont éliminés sortent tous les dossiers sur ceux qui n'ont pas encore été éliminés... Comment dit-on déjà ?
Mais pourquoi je pense à ça maintenant ?!?
Focus. Sara te vole K ! La meuf de 23 ans, qui est junior, et qui pense que les Rolling Stones c'est une marque de tee-shirt. Une humiliation publique, voilà ce que c'est ! Nan, mais tant qu'on y est, tu peux me cracher à la gueule, Daniel.
— Oui, bien sûr, un soulagement.
Oui, oui c'est bien moi qui ai dit ça. Ne me jugez pas. Ce n'est quand même pas donné à tout le monde de dire ce qu'on pense. Malheureusement, ma vie ce n'est pas de la télé-réalité. C'est de la réalité-réalité.
Lorsque il a entendu « oui, bien sûr », Dan a tout de suite enchaîné, soulagé de pouvoir m'achever sans résistance :
— Ils s'entendent bien avec K, ils sont de la même génération, tu comprends ?
Je comprends surtout que je viens de perdre un de mes comptes les plus importants. K (son vrai nom, c'est Baptiste, mais ça fait moins cool, oui c'est une épidémie dans ce milieu de pas assumer son prénom ) c'est l'icône de la nouvelle génération : déconstruit, beau, créatif...Bref, le mec est un petit génie de la musique qui rapporte des millions au moindre pas qu'il fait dans ses sneakers de collection. Et je viens de le perdre. Là, la prochaine chose que je perds, c'est mon job.
Et je rappelle que ce n'est que le début de la journée.
Je sors du bureau de Dan, le museau en berne, et je traîne mon âme choquée jusqu'au coin « chill » (avant c'était le coin relax, mais apparemment, c'était trop 2019 comme appellation ) où se trouve Anis, 42 ans. Mon mari de travail, ça veut dire qu'on a une relation qui ressemble à celle d'un couple sauf qu'on ne couche pas ensemble. Sauf qu'on fait quand même du sexe de temps en temps, mais ça ne compte pas vu qu'on est amis. Anis est community manager. Anis aime le metal (la musique, pas la matière), le café avec du lait dedans, mais pas le latte, voir la vie en noir, et en même temps, faire qu'elle soit beaucoup plus rose quand il est dans la vôtre.
Il y a cinq ans, lorsqu'il est arrivé à l'agence avec ses yeux verts, sa peau couleur sable et son look bobo de métalleux qui sent la lessive, moi, j'ai direct fantasmé sur lui. En plus, j'ai découvert quelques discussions plus tard qu'il avait le même humour que moi : celui qui met la vie à distance et les sentiments sous cloche. Deux mois après, après une soirée karaoké où on a gâché les tympans de tout le monde en chantant « Sous le vent » alors que nous, on était surtout « sous l'emprise de plusieurs litres d'IPA », on a consommé notre crush mutuel. Et le crush ne s'est jamais converti en autre chose. Il est resté ce truc que l'on ressent quand on est saoul, mais qui, le matin, se re-transforme en amitié. Un peu comme le carrosse de Cendrillon qui se mue en citrouille, c'est de la magie avec date de péremption. Et puis, après tout, les citrouilles, ça reste quand même super bon, surtout quand elles se changent de temps en temps en autre chose. Ça n'aide pas qu'aucun de nous deux ne soit bon en « construction »... Les legos de l'amour, c'est pas notre truc, et ça finit toujours sous le pied en faisant un mal de chien. Alors que ce truc-là, que l'on a, c'est à la fois doux comme de l'amitié et épicé comme un coup d'un soir. C'est notre sucré-salé à nous.
Et là, on est plus sur du sucré : Anis m'attend avec des madeleines qu'il a piquées à la compta. Il sait que quand je sors du bureau du boss, j'ai toujours un peu besoin de beurre dans ma vie.
— Alors ?
— Je perds K. C'est Sara qui le récupère.
Anis prend son air préoccupé. Ça me rassure comme un agent de l'URSSAF qui comprendrait ma demande. Mais soudain, je réalise un truc, il a l'air inquiet, oui, mais pas étonné.
— Tu savais ?
Anis ne me regarde pas dans les yeux, il scrute sa madeleine et moi, je commence à paniquer.
— Mais non.
C'est le pire menteur de la terre.
— Si tu savais.
— C'est rien, t'inquiète.
Il ne dit jamais que c'est rien, vu que tout est un drame pour lui, vu qu'il regarde autant de Real TV que moi et que la vie est meilleure quand on en parle avec emphase.
C'est quelque chose, je sais : t'es en train de tremper ta madeleine dans ton café.Bin oui, normal.T'as oublié d'enlever le sachet.
Comme si c'était vraiment ça le problème, il libère le gâteau de sa prison de plastique. Il va me le dire, mais il cherche le courage... dans le beurre.
— Je ne sais pas comment te dire ça.
Là, je comprends que je ne vais pas aimer.
— Les autres commencent à voir que t'es plus vieille.
J'ai l'impression que le plancher s'effondre sous mes pieds. C'est dingue, on ne se sent pas vieillir, alors quand on nous l'annonce, c'est tout de même un choc. Même si j'avoue, j'avais quand même remarqué que les jeunes étaient de plus en plus jeunes.
— T'es plus vieux que moi !
— Moi, c'est pas pareil. Je les suis partout. Toi, tu veux jamais faire la fête avec nous.
C'est pas vrai, sachez que je fais la fête. Mais Anis réplique que les apéros terrasse qui finissent à 22h, ça ne compte pas. Notre métier, c'est littéralement suivre les artistes qui vivent la nuit. T'es pas censé être dans un plaid à ce moment-là.
C'est vrai que dernièrement, j'ai pas mal dit non. Non, j'ai pas envie de viber à une after release party ; Non, ça me dit pas ce bar à cocktail caché dans les catacombes ; Non, je veux pas voir ce que ça fait de prendre de la MD à un concert de danse irlandaise. En plus, ces gens se donnent rendez-vous à 22h, c'est pure folie. Moi, ma vibe, c'est plus vin nature, terrasse et fumer des Vogues. Et je sais qu'Anis le sait très bien, vu que c'est lui mon partenaire préféré de terrasses. Mais là, il est en mode intervention (une où tes amis te conseilleraient de prendre de la drogue et de détruire des chambres d'hôtel). Il insiste, il veut absolument que j'aille à une after party avec eux ce soir.
— K sera là. Vas-y... Montre-lui la vraie Ju !
La vraie Juliette fume des clopes en terrasse jusqu'à 22h, pas plus, mais bon, ça il le sait. Et puis il veut mon bien. Et mon bien, c'est de faire semblant d'être la vraie Juliette. Okay, je cède. Faut que je leur montre que j'ai beau avoir presque 40 ans, je suis aussi jeune que ces jeunes cons. En plus, ce qui me rassure, c'est que ce genre de soirée, ça finit au lit avec Anis, et ça, c'est ma came.
— Super, comme ça, je te présente ma copine.
— Ta « copine » ? N'importe quoi !
J'ai dit ça comme une enfant de trois ans. Faut croire que le choc d'apprendre que pour la première fois depuis qu'on se connaît, Anis est en couple m'a fait un peu trop rajeunir.
*****
NOTE DE L'AUTRICE : et voilà la fin du chapitre 1 ! Dites moi ce que vous en pensez ! Est ce que Juliette devrait sortir ? Est ce va réussir à récuperer K ? Et surtout est ce que c'est de l'amitié ou autre chose entre Anis et elle ? Vous en saurez plus dans les chapitres suivants !
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Pas de Son Age
Chick-LitJuliette, 39 ans et demi a une vie parfaite, un job qu'elle adore, des amis qui l'entourent, un bar qu'il lui fait des Spritz exactement comme elle veut, et une famille indigne qu'elle arrive - la plupart du temps - à éviter. Le bonheur. Sauf que to...