Chapitre XVI

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Anaïs vit au ralenti la flèche se diriger droit vers elle. Elle put admirer chaque détail de la hampe en bois brun, chaque atome de la pointe en métal. Elle entendit un cri lointain, comme étouffé par la distance. Le projectile avançait lentement vers elle en tournant sur lui-même, tel une promesse de mort, et rien ne semblait pouvoir l'arrêter.

Par un réflexe qu'elle ignorait posséder, la jeune fille rassembla un boule d'énergie qu'elle projeta alors vers la flèche sous forme d'une puissante bourrasque. Déséquilibré, le projectile fit une série de pirouettes hasardeuses dans les airs avant d'être emporté au loin.

L'adolescente sentit une immense fatigue s'emparer d'elle et elle tomba dans les bras de sa sœur. Leira courut à leur rencontre et s'agenouilla près d'Anaïs. Elle prit son poul mais il lui sembla normal. Après quelques minutes à essayer de la réveiller, Léna et elle décidèrent de repartir quand même, en la mettant sur le dos de son cheval. Atlas avait suivi toute l'opération sans faire un mouvement mais lorsque le trio repartit, il se plaça près du cheval de son amie pour trottiner à ses côtés.

Anaïs ouvrit les yeux peu de temps après, réveillée par les cahots que son cheval faisait en marchant. Elle mit quelques secondes à retrouver ses esprits puis adressa un regard interrogateur à sa sœur. Celle-ci lui répondit par un haussement d'épaule.

– Si je ne l'avais pas vu de mes yeux, je n'y aurais pas cru, lâcha Leira, à qui leur échange silencieux n'avait pas échappé.

– Que s'est-il passé ? demanda la jeune fille en se tournant vers elle.

– Ça, c'est à toi de me le dire, rétorqua l'autre.

La brune resta silencieuse. Elle tenta de rassembler ses souvenirs mais rien n'y fit, ils lui échappaient, insaisissables comme des lambeaux de brume. Ses yeux se posèrent alors sur Atlas et elle dut fermer les paupières tant l'intensité des images et des sons fut forte tandis que la scène se rejouait dans son esprit. Elle avait créé une bourrasque de vent avec sa seule force mentale, une bourrasque assez forte pour éjecter au loin la flèche qu'avait tirée Leira, et surtout, sortie de nulle part.

La jeune fille secoua la tête, tout cela dépassait son entendement. Elle se concentra plutôt sur son cheval car, même si elle avait pris de l'assurance, elle était encore loin d'être une cavalière accomplie. Mais elle savait maintenant qu'elle pouvait faire des choses étranges avec son esprit, et cela ne la rassurait pas vraiment.

✰✰✰

En milieu d'après-midi, le ciel se couvrit et une fine bruine commença à tomber sur le trio solitaire. La piste suivait inlassablement la rivière, passant même parfois au-dessus. D'autres pistes la rejoignaient de temps en temps, ou au contraire en partaient.

Ce fut à l'un de ces embranchements que les trois jeunes filles aperçurent au loin un groupe de cavaliers qui semblait se diriger vers elles. La pluie les empêchait de voir distinctement mais un frisson de mauvais augure les traversa toutes les trois. Même Atlas et le chat grognèrent.

– Éloignons-nous de la piste un instant, proposa Leira, méfiante.

Les jeunes filles se dissimulèrent derrière de gros rochers blancs qui sortaient de l'herbe en certains endroits et firent se coucher leurs montures dans l'herbe humide. De là, elles pouvaient voir la piste sans que la réciproque ne soit vraie. Leur initiative fut amplement récompensée car les cavaliers qui passèrent avaient l'air tout sauf sympathiques. L'image des Nazguls dans Le Seigneur des Anneaux s'imposa immédiatement à Anaïs et elle sentit ses poils se hérisser. Montés sur des chevaux noirs carapaçonnés, seize hommes filèrent à quelques mètres d'elles sans les voir. Leur armure d'un gris sombre ne faisaient pas le moindre bruit – à moins que le tambourinement de la pluie ne l'ait masqué –, des épées longues et recourbées à la garde ornée de griffes métalliques pendaient à leur ceinture, des casques hérissés de cornes et de pointes recouvraient leur tête, percés uniquement de trois trous aux niveaux de la bouche et des yeux pour leur permettre de voir et de respirer. La vitesse à laquelle ils allaient et la direction qu'ils prenaient ne laissait la place à aucun doute : c'était les trois adolescentes qu'ils pourchassaient. Ce ne fut qu'à ce moment qu'elles se rendirent compte de la chance qu'elles avaient eue de ne pas avoir été vues.

Les trois jeunes filles laissèrent de longues minutes passer avant de sortir, tremblantes, de leur cachette. Même Leira, qui restait flegmatique dans les situations les plus dangereuses, tremblait comme une feuille.

– C'est la première fois que je vois des Sarhaliens, expliqua-t-elle aux jumelles, la voix faible.

Une fois leur frayeur passée – ou du moins en partie –, elles se remirent en route sous la pluie, prenant garde de ne pas aller trop vite et de garder les yeux grands ouverts au cas où les cavaliers reviendraient en sens inverse.

Anaïs était terrorisée. Elle croyait distinguer à travers la pluie des silhouettes menaçantes et chaque arbre, chaque rocher ayant une forme vaguement humaine la faisait sursauter d'effroi. Aussi, ce qui devait arriver arriva : son cheval, rendu nerveux par la peur de sa cavalière, était agité et quand la jeune fille eût un énième sursaut de peur, il fit un écart et l'adolescente se retrouva allongée dans la boue.

Ses compagnes de voyage se précipitèrent aussitôt à son secours et elle remonta en selle, maussade et trempée.

Elles chevauchèrent longtemps, jusqu'à ce qu'elles se rendent compte que la nuit était tombée depuis déjà deux bonnes heures mais que les nuages noirs et bas le leur avait caché.

Lorsque la pluie cessa enfin, les adolescentes établirent leur campement à une cinquantaine de mètres de la route, derrière une éminence rocheuse. Elles ne firent pas de feu, de peur d'être repérées, mais même si elle l'avait voulu elles n'auraient sans doute pas pu le faire car la campagne entière était détrempée par l'averse.

Elles mangèrent peu, en silence. La peur leur coupait l'appétit. La peur de voir les cavaliers débarquer dans leur campement à tout instant. Elles se couchèrent, serrées les unes contre les autres, leurs différents oubliés, remplacés par leur frayeur commune.

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Les Légendes d'Engamella - Livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant