13 ANS PLUS TÔT
« Papa ? »
Les conversations animées à voix basse cessèrent brusquement et tous les yeux se tournèrent vers moi. Je serrai plus fort la peluche en forme de chat que je tenais à la main en sentant le rouge me monter aux joues. Je gardai les yeux rivés sur mon père dont la mine fermée se mua en une expression attendrie lorsqu'il me vit.
« Ma puce, tu devrais être couchée à cette heure-ci, dit-il en s'avançant vers moi pour me prendre dans ses bras. »
Je sentis mes pieds nus quitter le sol froid et passai les bras autour de son cou.
« Je n'arrivais pas à dormir, chuchotai-je. Tu veux bien me lire une histoire ? demandai-je d'une voix suppliante. »
Il lança un regard hésitant derrière lui puis finit par acquiesça à mon attention. Je lui souris et reposai ma tête sur son épaule. Juste avant d'être emportée dans ma chambre, je croisai le regard d'une paire d'yeux émeraudes dans la pièce et l'homme me fit un clin d'œil avant de retourner s'affairer dans des rouleaux de parchemins.
***
13 ANS PLUS TARD
L'oxygène dans la pièce semblait avoir disparu. Ou peut-être était-ce tout simplement moi qui retenais mon souffle. Dans le doute, j'inspirai une grande bouffée d'air qui ne pouvait faire de mal à mes pauvres poumons.
Elle était tellement belle.
Tout simplement sublime sur son trône.
Son visage s'illumina lorsqu'elle esquissa un sourire à notre arrivée.
Nous avançâmes sur un tapis doré déployé de l'entrée jusqu'au trône, et nous arrêtâmes à une distance respectable.
Aurelius Lysandor s'inclina profondément et je fis de même.
Je ne voulais pas m'incliner.
Je ne voulais pas perdre une seule occasion de l'admirer. De scruter son visage pour trouver des rides inexistantes qui auraient pourtant dues se dessiner comme chez toutes les femmes âgées d'un peu plus d'une cinquantaine d'années. D'observer avec émerveillement ses cheveux blonds vénitiens soyeux relevés en une coiffure torsadée. De rester sans voix devant sa robe verte aérienne digne d'un conte de fées. Mais par-dessus tout, je ne voulais pas perdre une seule occasion de perdre une de mes ennemies potentielles de vue.
Même si cette ennemie était sans doute la femme la plus séduisante et fascinante que j'avais jamais vue.
À l'image de son royaume.
Une beauté et une puissance éternelle.
Je comptais sur cet entretien pour lire en elle comme dans un livre ouvert.
« Votre Majesté, voici Edlynne Creston, écrivaine et philosophe conviée à notre Cour, annonça Aurelius Lysandor. Elle arri– »
Il se coupa net.
La Reine s'était levée de son trône ; sa robe flottait autour d'elle lorsqu'elle s'approcha et s'arrêta devant moi. Ses yeux bruns chaleureux se plantèrent dans les miens. Elle me sourit.
Mais que fait-elle ?
Est-ce ainsi qu'elle salue tous ses invités ? En quittant son trône pour venir à leur hauteur, comme si elle s'apprêtait à converser d'égal à égal ?
Le regard perdu de mon guide m'indiqua que ce n'était pas le cas, ce qui ne fit que renforcer ma stupéfaction. Je devais trouver quelque chose à dire. Et vite.
« Votre Majesté, je suis vraiment très honorée d'être reçue dans le palais le plus prestigieux de tous. C'est un rêve qui–
- Mais tout le plaisir est pour moi, ma chère, m'interrompit-elle, m'empêchant ainsi de continuer mon petit discours élogieux et dégoulinant de flatterie sur la royauté, qui aurait sans doute sonné faux de toute façon. Je suis ravie que notre Ministre de la Culture vous ait conviée. Vous savez, j'ai lu bon nombre de vos ouvrages et j'admire vos réflexions et votre plume. »
Mon sang se glaça dans mes veines. Aux dernières nouvelles, je n'avais écrit aucun livre et Edlynne Creston n'existait pas.
Comment diable peut-elle prétendre aimer mes stupides bouquins ?
L'évidence s'imposa à moi.
Elle sait.
Je croisai à nouveau son regard qui sembla soudain bien moins accueillant qu'à mon arrivée. Il semblait dénué de toute émotion. Une ombre passa sur son visage.
Je déglutis péniblement.
Ses yeux étaient injectés de sang. Ses pupilles se dilataient à vue d'œil.
« Mademoiselle Creston ? »
Je sentis la main d'Aurelius me secouer doucement l'épaule. La Reine Margot sembla vouloir me toucher le front comme pour vérifier que j'allais bien mais se ravisa aussi vite que l'idée lui était venue.
« Je suis sincèrement désolée, je... je ne sais pas quoi dire... »
Je ne savais surtout pas ce qui venait de se passer.
Venais-je d'avoir une hallucination ? Je scrutai la mine intriguée de la Reine et ne distinguai que des éclats dorés dans ses iris bruns, uniquement visibles de près. Je me fis la réflexion qu'il était scientifiquement prouvé que les personnes aux yeux bleus comme moi inspiraient moins de confiance que les yeux marrons.
Mais pas de sang.
Elle ne sait rien du tout. C'est moi qui délire.
Il n'empêche qu'elle se trouvait toujours devant moi, debout sur le même tapis, au lieu d'être assise sur son trône. Cette partie-là, je ne l'avais pas imaginée. Était-ce dans le but de me troubler ? Mais pourquoi ?
« Oh, ne vous en faîtes pas, ce n'est rien, affirma-t-elle, vous devez être éreintée par ce long voyage et je vous trouve la mine fatiguée. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Aurelius vous ramènera dans votre chambre, fit-elle avec un sourire poli à son attention, auquel il répondit par un hochement de tête. Nous aurons l'occasion de faire plus ample connaissance lorsque vous aurez l'esprit au frais.
- J'en serais ravie, répondis-je.
- Et moi donc ! Je suis sûre que votre esprit doit être encore plus vif en personne qu'à travers votre écriture. »
Je souris poliment.
Donc ça non plus, je ne l'ai pas imaginé. Mais comment est-ce possible qu'elle ait lu mes prétendus livres ?
« Je vous remercie, Votre Majesté. Je ne veux pas vous déranger plus longtemps. »
Le bras droit du Roi s'inclina et je l'imitai.
Sept secondes. J'ai été parfaite sur ces sept premières secondes. Ensuite...
Nous nous dirigeâmes ensuite vers la porte. Je jetai un dernier regard en arrière. J'aurai juré que son regard était à nouveau vide et inexpressif. Mais peut-être étais-je trop loin pour distinguer ce genre de détail. Peut-être avais-je vraiment besoin de repos.
Peut-être.
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Au clair de la lune
Fantasia« Dis papa, pourquoi est-ce que je m'appelle Adreanna ? - C'est... c'est ta maman qui a choisi ce prénom. - Ça veut dire quoi ? - Ça signifie "noir". - Comme la couleur noire ? Mais moi, j'ai peur du noir... Les ombres, ça cache les monstres sous m...