CHAPITRE 3 : Flashback

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Cher lecteur, cher lectrice.

Depuis l'au-delà,

Ou depuis ce vaste monde cruel,

Je suis,

Profondément,

Désolée.

L'homme anonyme au yeux étoilés a expiré,

Une fois de trop.

Inutile de vous demander pourquoi,

Ou qui,

Ou comment.

Deux questions seulement sont fondamentales ;

Avons-nous le choix ?

Et pourquoi moi ?

Si je le pouvais,

Je fermerai les yeux,

Pour ne plus jamais les rouvrir.

Cela faisait près de quatre heures que je me retournais dans mon lit sans parvenir à trouver le sommeil. À chaque fois que j'essayais de fermer les yeux, le poème apparaissait devant moi aussi net qu'une photographie, les bords noircis par les flammes et rougis par le sang, et je ne supportais pas de savoir que c'était moi qui avait écrit ces mots. Mais qu'est-ce qu'il m'a pris ? Je fermai les yeux à nouveau, essayant désespérément de m'endormir, mais cette fois-ci, ce furent des flashs de la veille qui surgirent.

***

J'avançais dans cette allée bordée de haies impeccablement taillées, les lanternes scintillantes éclairant le chemin malgré l'obscurité de la nuit. Je revoyais tous ces inconnus arriver en même temps que moi, vêtus plus somptueusement les uns que les autres. Le bruit de leurs conversations anodines me parvenait comme un écho un peu étouffé. Je les revoyais s'extasier devant la splendide demeure qui se dressait devant nous. Je me revoyais m'extasier moi aussi, avant de m'assombrir en me rappelant ce pourquoi j'étais venue. J'entrai. La soirée battait son plein. C'était la toute première fête digne de ce nom à laquelle j'assistai, et je savais qu'elle n'allait pas bien se terminer. Je me concentrai sur la foule, tâchant de repérer ma cible, ce que je n'eu pas trop de mal à faire. Le propriétaire de la maison était entouré d'invités, verres à la main, riant ensemble. Sa peau mate paraissait être parsemée d'éclats dorés et ses yeux verts avaient quelque chose d'envoûtant. Les rides qui se dessinaient sur son front et au coin de ses yeux semblaient refléter la sagesse et l'expérience qu'il avait aguerries durant sa vie. En d'autres circonstances, j'aurais peut-être pu passer des heures à converser avec lui. Je fronçai les sourcils à cette idée et la chassai de mon esprit aussi vite qu'elle avait surgi. Il était temps. J'avançai en direction du groupe le cœur battant. Je me faufiler discrètement derrière lui et une fois à sa hauteur, je lui murmurai à l'oreille :

« Je suis la messagère du Ministre de la Culture, Monsieur. On m'a dit que l'on vous avait prévenu de mon arrivée.

- Oui, c'est exact, me répondit-il. Mais l'on ne m'a pas communiqué la raison de votre visite, ajouta-t-il d'une voix en apparence calme mais plutôt tendue. »

Visiblement cet entretien l'inquiétait. Je ne savais pas grand chose sur cet homme. Je n'avais aucune idée de pourquoi lui. C'était toujours pareil. Je savais uniquement que cet homme était un écrivain qui avait parcouru le monde et qui se servait de ses voyages comme source d'inspiration pour ses livres, et que son prestige lui avait valu une place à la Cour de Veera depuis peu. Il redoutait sans doute que l'on lui annonce qu'il ne pouvait plus en faire partie ou une autre mauvaise nouvelle de ce genre. S'il savait... Comme je tardais à réagir à sa remarque, il se racla la gorge et j'eu l'impression de passer au rayon X lorsque son regard se planta dans le mien. Je m'enquis s'il avait une pièce où nous serions plus aptes à discuter en privée et il me conduisit à son bureau après s'être excusé auprès de ses invités. Un fois la porte refermée derrière nous, un silence s'abattit, et je fus incapable de lever les yeux en sa direction.

« Et bien vous n'êtes pas très loquace pour une messagère, s'amusa le propriétaire. »

Comme je ne disais toujours rien, il me rappela le sujet de ma visite.

« Et bien, allez-y, je vous écoute. Quel est donc ce message que le Ministre souhaitait me faire parvenir ? »

Il fronça les yeux, son impatience se faisait sentir. Je sentis un léger pincement au cœur et le regardai droit dans les yeux.

« Mademoiselle, commença-t-il, j'ai des invités qui m'attendent en... »

Sa phrase resta en suspens. Il contempla ébahi le poignard enfoncé dans son abdomen puis planta son regard dans le mien. De près, ses yeux me donnaient une impression de déjà-vu désagréable. Ses jambes vacillèrent et il s'agrippa à moi pour ne pas tomber. Son contact me fit l'effet d'une décharge électrique. Je le déposai au sol le plus vite possible et m'agenouillai à ses côtés. Je retirai le couteau de son abdomen ; cela irait plus vite. Il tenta de crier mais je lui mis un doigt sur les lèvres. Je n'avais jamais parlé à mes victimes auparavant. Je ne savais pas ce qui m'avait poussé à le faire chez cet homme.

« Vos dernières paroles sont bien trop précieuses pour les gaspiller en criant à l'aide alors qu'ils ne pourront plus rien pour vous, lui chuchotai-je. Ça sera vite passé, ne vous en faites pas. Je...je ne... »

Le reste de ma phrase se perdit lorsqu'il fronça les sourcils et me murmura péniblement :

« Mais... mais je... je vous connais... »

Mon sang ne fit qu'un tour. J'essayai d'articuler une réponse mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. Je fis signe que non avec la tête.

« A... Adrea... Adreanna... c'est toi ? »

Mon cœur s'arrêta de battre pendant une seconde. Personne, absolument PERSONNE – à part lui évidemment – ne connaissait mon véritable prénom. C'était impossible.

« ...Adreanna ? répéta-t-il, horrifié cette fois-ci. »
Mon silence en avait dit long. Tout allait beaucoup trop vite dans ma tête. Des flashs défilaient dans mon esprit de manière effrénée sans que je ne distingue clairement l'un d'entre eux. Je pris ma tête dans mes mains.

« Je... je suis tellement...tellement désolée...laissai-je échapper. »

Je ne savais pas qui était cet homme. Je ne le reconnaissais pas. Et pourtant, je venais de m'effondrer devant lui, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant. Pas en pleine mission.

Jamais.

Je sentis une larme dévaler sur ma joue, et il tendit la main, comme pour essayer de l'essuyer. Mais son bras s'arrêta à mi-chemin avant de retomber lourdement sur son torse trempé de sang. Il battit des paupières une dernière fois et je vis des larmes dans ses iris vert émeraude. Puis ses yeux se refermèrent et sa tête dodelina sur le côté.

Non, non...

Je déglutis péniblement.

Non...

Je tentai de calmer ma respiration mais la pièce avait commencé à tourner autour de moi.

Non.

Je sortis de ma poche un morceau de parchemin et griffonnai quelques mots.

Je le déposai sur sa poitrine ensanglantée.

Mais des pas dans le couloir résonnèrent.

Je distinguai des voix.

Le bruit de la fête en fond.

Non !

J'ouvris la fenêtre du bureau qui heureusement se trouvait au premier étage. Je balayai une dernière fois la pièce du regard.

Et merde...

Au dernier moment je repris le morceau de papier et le fourrai dans la poche de mon pantalon. Je sortis et me fis la promesse de ne plus jamais revenir.

***

Je rouvris les yeux, haletante.

Voilà bientôt trois ans que j'avais adopté cette étrange et sinistre habitude de laisser un poème sur place après chaque meurtre que je commettais. Mais cette fois-ci, cela avait été différent. En état de choc, incapable de rentrer chez moi, j'avais passé le reste de la nuit précédente et la journée à errer dans le ville, essayant de comprendre et d'assimiler ce qui s'était passé. J'avais beaucoup trop de questions en tête et mon cerveau refusait de coopérer pour me fournir des réponses. Qui était véritablement cet homme ? Qui avais-je tué ?

Au clair de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant