CHAPITRE 7 : Déjà-vu

16 3 5
                                    

Mes yeux s'habituaient doucement à l'obscurité de la nuit. Je pouvais à présent distinguer les vagues qui déferlaient sur le sable, inspirant, expirant. C'était tellement simple et merveilleusement beau. Le long soupir de la mer, me dis-je, et j'en laissai échapper un à mon tour. Je me sentais légère pour une fois. Cela faisait si longtemps que je portais un fardeau bien trop lourd sur mes épaules, et il avait suffit que je ferme les yeux et cale ma respiration sur celle de l'océan pour m'en débarrasser. J'éprouvais une envie irrépressible de me jeter à l'eau. Alors j'avançai. Un pas après l'autre. Je me sentais un peu ivre, de sel et de larmes sans doute. Des larmes de soulagement. Les vagues vinrent me lécher les pieds, et je frissonnai au contact de l'eau froide. Ce n'est que lorsque j'avais de l'eau jusqu'à la taille que je levai les yeux au ciel et me rendis compte combien la lune était proche. J'avais l'impression qu'il me suffisait de lever le bras pour suivre le contour de ses cratères du doigt. La lune était pleine. Je reportai mon attention sur l'océan et distinguai au loin une masse sombre et diffuse. Je plissai les yeux, intriguée, et me figeai sur place presque aussitôt. Une vague énorme de quatre fois ma taille s'approchait dangereusement de l'endroit où je me tenais. La panique m'envahit et je me débattis pour m'extirper de l'eau. Mais c'était impossible. La mer semblait m'enrouler furieusement de ses griffes, m'empêchant de ne faire ne serait-ce qu'un pas en arrière. Impuissante, je contemplai avec effroi le monstre gigantesque qui n'était plus qu'à quelques mètres de moi, puis la vague me projeta violemment en arrière avant de m'engloutir tout entière.

Je me réveillai complètement sonnée, étendue sur le sable. Je me relevai tant bien que mal et constatai avec surprise que mes vêtements étaient complètement secs. Mais ma tête me tournait terriblement. Je voulais m'éloigner le plus possible de cet endroit. Je titubai, me forçant à mettre un pied devant l'autre. Mais mes mouvements étaient lents et lourds, et je me rendis vite compte que je n'avançais pas d'un pouce. Je serrai les dents mais mes pas continuaient à ne me mener nulle part. J'étais toujours à la même place.

Soudain, des coups d'horloge résonnèrent dans le silence.

Mais d'où venaient-ils ?

Un...

Deux...

Trois...

Quatre...

Chaque nouveau coup me transperçait les tympans et me vrillait le crâne. Je fermai les yeux pour tenter de calmer la douleur infernale, en vain. J'ouvris les yeux à nouveau, mais je voyais trouble, comme à travers un voile. Je clignai plusieurs fois des yeux, avant de tomber à genoux.

Onze...

Douze.

L'horloge se tut tout à coup. Douze coups. Je battis désespérément des paupières. Minuit. Je me frottai les yeux. J'avais le visage mouillé, un goût salé et métallique dans la bouche quand je l'ouvris pour crier, mais aucun son ne sortit. Je pris ma tête entre les mains et poussai un long gémissement muet, impuissante. Juste avant de m'évanouir, j'entendis un chuchotement à mon oreille.

Le vent. Il me soufflait quelque chose.

Puis le noir.

Je me réveillai, haletante. Ma tête semblait sur le point d'exploser, j'avais les joues brûlantes et de la sueur perlait sur mon front. À quel moment étais-je revenu dans mes appartements ? Combien de temps m'étais-je assoupie ? Je me redressai non sans mal en position assise avant de me diriger vacillante vers l'évier de la salle de bain. Je m'appuyai sur les rebords, cherchant à calmer ma respiration saccadée. Peine perdue. J'ouvris le robinet et m'éclaboussai le visage d'eau froide, ce qui, à mon grand soulagement, calma un peu la douleur. Je jetai un rapide coup d'œil dans le miroir et entrevis sans surprise ma mine affreuse. Mes cheveux auburns rebiquaient dans toutes les directions imaginables et je me trouvai le teint vitreux. Cauchemar ou hallucination ? Qu'importe. J'entendis toquer à la porte. Une fois devant l'entrée, je l'ouvris et tombai nez-à-nez avec Aurelius Lysondor, dont le front se plissa à ma vue. Et puis cela me revint. Il m'avait raccompagné jusqu'à ma chambre après l'entrevue avec la Reine. Une fois à l'intérieur de ma suite, je me souvins avoir regardé avec plus d'attention l'étagère en bois dans le salon et poussé un cri de surprise en découvrant toute une section de livre portant le nom d'Edlynne Creston. Je m'étais faite la réflexion qu'il avait vraiment pensé à tout, allant jusqu'à publier des livres sous mon alias. Le commentaire de la Reine prétendant avoir adoré mes ouvrages avait pris tout son sens et cela m'avait soulagé de constater que le puzzle s'assemblait petit à petit. Elle n'était pas folle. Je me rappelais en avoir saisi un, curieuse, pour le lire dans ma chambre, mais qu'éreintée par le voyage et l'entretien, j'avais dû m'assoupir en pensant me réveiller revigorée. Cette partie-là était ratée. Je reportai mon attention sur mon visiteur.

« Oui ? lui demandai-je d'une voix un peu éraillée. »

La mine soucieuse, il scrutait mon visage et il s'enquit de savoir si j'allais bien. Je soupirai.

« J'ai simplement fait un mauvais rêve, fis-je en me passant la main dans les cheveux. »

D'un balayement de main, je lui indiquai qu'il n'avait pas à s'inquiéter pour moi.

« Bon tant mieux, me répondit-il, visiblement soulagé. Je suis simplement venu vous demander si vous souhaitez dîner dans la Salle du Soir avec les autres membres de la Cour, qui seraient ravis de faire votre connaissance.

- Je suis désolée, commençai-je hésitante, mais je ne crois pas vraiment être en état ce soir. J'aurais, hum, vraiment besoin de me reposer. Le voyage a été long et...

- Ne vous inquiétez pas, je comprends tout à fait, me coupa-t-il avec un sourire bienveillant. Nous vous livrerons donc votre repas dans votre chambre dans environ une heure. Cela vous convient-il ?

- Oui, bien sûr.

- Parfait ! Dans ce cas je vais vous laisser, car je peux vous assurer que j'ai du pain sur la planche, ajouta-t-il en souriant à nouveau. Puis-je faire quoi que ce soit pour vous ?

- Non, je vous remercie.

- Je vous en prie. »

Il me salua de la tête et tourna les talons. Je le regardai s'éloigner dans le couloir avant de refermer la porte. Je restai un moment la main sur la poignée, tête contre la porte, avant de sortir de ma torpeur et de réaliser que j'étais parfaitement ridicule. Je me dirigeai vers la salle de bain pour prendre une douche. En sortant des jets fumants, j'observai la buée sur le miroir. Je m'appelle Edlynne Creston, j'y écrivis avec mon doigt. La buée ne tarda pas à disparaître, et le message avec. Je contemplai mon reflet, mes cheveux sombres et trempés, où de petites boucles se dessinaient déjà. Je sentis des gouttelettes tomber sur mon visage et glisser le long de mon cou, ce qui me fit frissonner. Du sang perlait de ma lèvre inférieure, témoignant de ma mauvaise habitude de me la mordre. Lorsque je passai ma langue dessus, un goût métallique m'envahit la bouche et je me revis à genoux sur le sable, appelant désespérément à l'aide. Mais personne ne venait. Parce qu'aucun son ne sortait de ma gorge. Parce que j'étais seule.

Je m'appelle Edlynne Creston, prononçai-je à voix haute.

Puis je détournai le regard du miroir et sortis de la pièce.

Au clair de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant