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XXI

WILDFLOWER -  Billie Eilish

Gabriel gisait sur le sol, soutenu tant bien que mal par l'un de ses gardes du corps. Son téléphone continuait de sonner, insistant, comme une échappée vers une réalité qu'il ne pouvait plus affronter. Le bruit semblait lointain, presque irréel, une dissonance dans l'instant tragique qu'il vivait.

« Monsieur Attal... Mon Dieu, mais qu'est-ce que vous vous êtes fait ? » murmura Raphaël, le premier des gardes, la voix brisée par l'émotion. Il fixait les bras du Premier ministre avec une incompréhension teintée de dégoût, mais c'était surtout envers lui-même que ce ressentiment se dirigeait. Comment avait-il pu faillir à son devoir ? Lui, dont la seule mission était de le protéger, se retrouvait à contempler l'ampleur de son échec. Une vague de honte l'envahissait, écrasante. Il avait été formé pour cela, pour anticiper chaque menace, mais il n'avait rien vu venir. Le poids de la responsabilité s'alourdissait dans sa poitrine, et le goût amer de l'impuissance se mêlait à son désarroi.

Les larmes brûlaient derrière ses paupières, prêtes à jaillir à tout moment. Raphaël, de nature profondément empathique, sentait chaque douleur de Gabriel comme si elle était la sienne. Il luttait pour maintenir un semblant de contrôle, pour ne pas laisser la façade professionnelle se fissurer. Mais l'envie de serrer cet homme dans ses bras, de lui apporter ne serait-ce qu'un instant de réconfort, devenait presque insupportable. Pourtant, il se retint, immobilisé par la nécessité de rester fort, d'être celui sur qui Gabriel pouvait encore s'appuyer.

Soudain, le téléphone cessa de sonner. Un silence lourd prit place, interrompu seulement par une rafale de notifications, une trentaine de messages au moins, comme une marée d'urgence que Gabriel ne pouvait plus affronter.

_____

Une fois les premiers soins prodigués à l'ancien Premier ministre, Raphaël tenta d'ouvrir un dialogue. Sa voix était hésitante, trahissant une nervosité palpable, mais il savait qu'il devait comprendre. Comprendre pour tenter de donner un sens à tout cela.

"Monsieur Attal... je... pourquoi ?" demanda-t-il finalement, presque en un souffle.

Le silence qui s'ensuivit était écrasant, oppressant. Une gêne indéfinissable planait dans la pièce, lourde comme un nuage chargé d'orage. Puis Gabriel expira bruyamment, comme si tout l'air qu'il avait retenu jusqu'à cet instant venait de s'échapper d'un coup, emportant avec lui le peu de force qu'il lui restait. Il baissa les yeux, incapable de formuler la moindre réponse. Les mots semblaient le fuir, ou peut-être était-ce lui qui fuyait les mots.

"Prenez votre temps, Monsieur. On a tout le notre." dit Raphaël, sa voix douce, presque murmurée, cherchant à apaiser la souffrance palpable de son supérieur.

Hésitant, il posa une main sur le dos de Gabriel. Le contact fut froid, provoquant un sursaut chez l'homme, mais il ne le repoussa pas. Ce geste maladroit, cette main qui semblait glacer son corps, apportait pourtant une étrange chaleur à Gabriel. Peut-être était-ce la seule chose qui le reliait encore à la réalité, ce froid paradoxal qui traversait son dos.

"J'ai... j'ai rencontré un homme", finit par articuler Gabriel, la voix étranglée par l'émotion, son regard rivé au sol. Thomas et Raphaël se figèrent, suspendus à ses lèvres.

"Nous n'étions pas faits pour nous aimer. Mais on l'a quand même fait ."

Le visage de Raphaël se crispa sous le coup de la surprise. Comment pouvait-on être "destiné à ne pas s'aimer" ? La question restait en suspens dans son esprit, tandis que Gabriel, les larmes perlant déjà sur ses joues, essuyait maladroitement l'une d'elles du revers de la main.

Loin des yeux, près du cœur.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant