Chapitre 1 - Partie 2

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Le soleil était à peine levé lorsque Domos s'entraînait déjà dans l'arène de terre battue, se perfectionnant à l'usage des armes de ce pays étranger. Les lueurs de l'aube glissaient à travers les frondaisons, baignant l'arène d'une lumière dorée qui contrastait avec la froideur de son humeur.

Au centre de l'arène, le bonhomme de bois était la cible de sa frustration accumulée. Chaque coup puissant qu'il portait sur l'objet inerte témoignait de sa rage contenue. Domos se sentait trahi par son propre destin : il s'était vendu à un prince, plus jeune que lui, arrogant et détestable, dans l'espoir d'obtenir le remède qui pourrait sauver son peuple de la maladie qui le décimait.

Originaire des terres glaciales du Nord, où le manteau de neige recouvre tout ce qui respire et où le vent mordant sculpte les visages et les âmes, Domos avait toujours combattu pour les siens. En tant que fils du chef du clan, il portait sur ses épaules le fardeau de la survie de son peuple. Chaque jour, il s'était battu contre les éléments, contre les prédateurs et contre les tribus ennemies pour assurer leur protection. Mais ce sacrifice suprême — abandonner son honneur et son corps — était un prix qu'il n'aurait jamais imaginé devoir payer.

Le visage de sa jeune sœur, âgée d'à peine dix-sept moissons, hantait ses pensées. Son cœur se serra à l'idée qu'il l'avait laissée derrière, elle et leur père mourant, pour partir en quête de ce maudit remède. Les langues de feu, ces plantes aux propriétés miraculeuses qui ne poussaient que dans les terres du Sud, étaient leur unique espoir. Lorsque les sages avaient annoncé que cette maladie qui créait des pustules douloureuses et paralysantes ne pouvait être soignée que par ces herbes rares, Domos n'avait pas hésité. Avec Louison, son ami d'enfance, et une poignée d'hommes, il avait entrepris un périple hasardeux à travers les mers glacées, armés seulement de poignards, de massues, et de peaux de bêtes, pour négocier leur survie.

Mais jamais il n'aurait cru que vendre son corps et apparemment sa liberté, deviendrait une option. Lui qui avait repoussé autant que possible le don prophétisé par les dieux — un don qu'il avait toujours perçu comme une malédiction. Pire encore, ces sentiments confus pour Louison, qui l'avaient déjà tourmenté avant même leur départ, semblaient se jouer de lui, compliquant davantage sa situation. Les dieux se moquaient vraiment de lui, le plongeant dans une épreuve aussi absurde que cruelle. Son souffle et le fracas sourd de ses coups résonnaient, écho de sa lutte intérieure.

Il enfonça l'épée dans le bois du pantin, envoyant valdinguer sa tête qui roula au sol. Sa longue tresse de cheveux blonds se balançait sur son dos au rythme de ses mouvements, capturant la lumière dorée du matin naissant.

— Je savais que je te trouverais ici.

Le cœur de Domos frémit en entendant la voix familière de Louison. Celui-ci s'approcha, ses cheveux noirs toujours ébouriffés encadrant son visage comme une couronne rebelle. Ses pupilles brillaient d'une malice adoucie par une affection sincère pour son compagnon.

— Décidément, mon ami, tu ne sais pas vivre sans le combat, n'est-ce pas ? Et qu'a donc fait ce pauvre gentilhomme de bois pour mériter un tel sort ?

Des membres en bois gisaient ça et là sur l'arène, témoignant de la violence et de la précision des coups de Domos. Le guerrier esquissa un sourire fugace à la remarque de son ami. Depuis toujours, Domos avait eu du mal à s'exprimer. Quand il tentait de parler, c'était comme si les mots restaient coincés dans sa gorge, ne parvenant jamais à s'échapper. Il grognait souvent comme un animal, et lorsqu'il faisait un effort pour articuler, il bégayait la plupart du temps. Alors, il préférait le silence, un trait qui s'accordait bien avec son aura de guerrier imposant et impitoyable.

Louison, quant à lui, ne pouvait s'empêcher de remarquer le froncement de sourcils de son ami, la crispation de ses mâchoires. Une sueur légère perla sur son front, suivant la ligne de sa tresse blonde jusqu'à disparaître dans les méandres de sa tunique trempée de sueur.

— Ton... Il sembla hésiter, mal à l'aise, scrutant le visage fermé de Domos. Ton époux sait-il que tu es ici ?

Domos ne répondit pas, son regard vert et perçant se perdant dans le lointain, fixé sur un horizon invisible. Louison devina la réponse dans ce silence éloquent.

— Je vois. Je sais que tout cela te dépasse... nous dépasse, rectifia-t-il, ses lèvres fines tremblant légèrement. Mais je suis certain qu'à cette heure, les bateaux remplis des cargaisons du remède ont déjà été acheminés.

Louison s'approcha davantage et posa doucement ses mains sur les larges épaules de Domos. Ce dernier retint son souffle et tenta farouchement de contrôler les battements de son cœur. Les doigts de son ami s'enfoncèrent dans la matière rugueuse de son vêtement, tentant de transmettre un peu de réconfort à travers ce contact. Leurs visages étaient proches, leurs respirations presque synchrones, tandis que Louison plongeait ses yeux sombres dans ceux, verts et perçants, de son ami.

— Je suis certain que Dyane, comme tu lui as appris, veille sur les malades et sait être forte. Essaie d'accepter ta nouvelle vie. Je ne pourrais pas repartir en paix en sachant que tu souffres, mon frère.

Leurs yeux se rencontrèrent, un mélange de tristesse et de compréhension passant entre eux. Le soleil commençait à poindre, inondant doucement les environs de ses premiers rayons dorés.

Domos voulait retourner auprès de ses compagnons, s'assurer par lui-même que tout allait bien. Mais il savait que c'était encore trop tôt. Les rigides coutumes de ce royaume l'obligeaient à rester aux côtés de son époux durant toute la période post-nuptiale.

— Tu devrais retrouver tes appartements. Il ne faudrait pas que tu donnes des raisons aux mauvaises langues de parler. Qu'on soit tous les deux ici sans que ton mari ne le sache...

Louison laissa sa phrase en suspens, conscient du poids de ses mots. Il relâcha les épaules de Domos et fit un pas en arrière, ses cheveux noirs se balançant légèrement sous l'effet de la brise matinale. Domos, bien que son visage restât impassible, était submergé d'émotions. Le toucher de Louison avait réchauffé son âme, l'apaisant l'espace d'un instant. La chaleur réconfortante de cette amitié lui rappela tout ce qu'il avait perdu et tout ce qu'il devait encore protéger.

Danse du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant