2. Double boucle piqué

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                                                                                      Diana 


— Vous affûtez beaucoup vos patins en ce moment. Une compétition de prévue ?

— Une compétition ? Certainement pas. 

Mes sauts détruisent mes patins. Ma mère refuse de m'en acheter de nouveaux, comme punition depuis que j'ai raté mon double boucle piqué devant ses amies. Une humiliation pour elle. J'ai 20 ans, mais je n'ai pas les moyens de me payer de nouveaux patins, donc je dois les affûter encore et encore... Je n'ai pas le choix.

Ma mère m'a retirée de l'école quand j'étais au collège. Elle jugeait qu'il me suffisait de savoir lire et écrire pour me concentrer sur sa passion le patinage artistique. Quand j'étais petite, c'était tellement bien. Ma mère m'emmenait à la patinoire, et c'est là qu'elle a vu tout le potentiel que je pouvais avoir. Elle avait raison. Dès qu'elle m'a inscrite au club de York, je gagnais compétition après compétition. Puis elle est devenue autoritaire, tout devait être sous contrôle  mon poids, mes amis, mes sauts, et même mon sommeil. Elle est devenue mon cauchemar, et pour elle, je suis devenue une source de revenus, sa fierté. Pour ses amies, je n'étais qu'un trophée de son succès... Oui, son succès. Je ne pouvais même pas dire que c'était grâce à moi. Le patinage, c'est ma passion, ma raison de vivre. Si on m'enlève ça, je ne suis plus rien... ni diplôme, ni hobby, ni raison d'exister. Personne ne peut comprendre cela, sauf ceux qui sont nés pour accomplir une seule chose : l'art de réussir à captiver le public.

Je me fonds facilement dans la foule. York est l'une des plus belles villes, et j'adore marcher seule, avec un casque sur les oreilles. C'est dans ces moments que je me sens vraiment moi-même. C'est pourquoi je prends toujours au moins 40 minutes pour rentrer. La ville, avec son architecture rappelant Harry Potter attire de nombreux touristes et passionnés d'histoire. J'ai pu faire des compétitions partout dans le monde, mais c'est ici que je me sens le plus chez moi. Et peut-être que c'est la raison pour laquelle je n'arrive jamais à être dans le top 5 en compétition. Mon stress est l'un de mes pires ennemis, mais personne ne comprend cela. Alors, j'essaie de me faire remarquer, surtout par celle qui m'a mise au monde.

Je ne ressemble pas à ma mère. Elle, c'est le cliché des standards de beauté : blonde, aux yeux bleus, avec un sourire éclatant. Je suis tout l'inverse. J'ai hérité de mon père une peau pâle, des yeux gris, et des cheveux noirs — aujourd'hui abîmés par mes multiples décolorations. Mes amis m'ont souvent dit que je ressemblerais à un personnage de  The House of the Dragon, l'une de mes séries préférées. J'ai commencé à me décolorer les cheveux pour contrarier ma mère, mais aujourd'hui, c'est devenu une partie de moi. Je me suis enfin trouvée, tout ça grâce à une simple crème achetée en supermarché. Le reste de mon corps, par contre, est l'œuvre de ma mère.

Mes parents sont divorcés. Mon père vit à Londres. C'est un diplomate, il est rarement à la maison, mais il prend toujours le temps de prendre de mes nouvelles et de m'encourager, ce que ne fait plus ma mère. Elle a quitté son poste d'enseignante pour se consacrer exclusivement à ma carrière... une carrière que je n'arrive même plus à améliorer depuis cet incident.

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— Diana Thomson entre sur la piste. À seulement 17 ans, elle est déjà championne régionale et nationale. Aujourd'hui, elle patine sur la plus grande piste des JO de Rio. Une grande fierté pour sa mère, qui l'accompagne depuis ses débuts.**

Mon costume est aux couleurs de Londres, avec un chignon strict et un maquillage intense. Les meilleurs patineurs sont déjà passés. Comment vais-je faire ?

Est-ce que j'ai bien serré mes patins ?

Est-ce que je dois regarder la caméra ?

Et si je tombe, que va penser le roi ? Que je suis une honte pour le pays ?

Je veux arrêter, je ne suis pas prête.

Non...

Non...

Je ne peux pas... Je ne suis pas prête...

Ma respiration devient saccadée, ma vision se trouble. Les milliers de personnes présentes me semblent floues. J'ai l'impression qu'elles rient, qu'elles parlent dans mon dos. Comme si mon corps était programmé, je commence à bouger au rythme de la musique, sans même l'entendre. Pourtant, c'est moi qui l'ai choisie, comme la coiffure et le costume, parce que ma mère était fière de moi.

J'ai trois minutes. C'est le programme long, le dernier programme. Tout est faux : mon sourire, mes gestes. Et c'est là que je vois ma mère se raidir. C'est le moment d'enchaîner un double saut et un double axel. Tout ce dont je me souviens, c'est d'avoir senti mon pied se tordre et la froideur de la glace contre ma peau. Plus rien après ça.

Finalement, je ne suis pas seulement la honte de ma mère, mais celle de tout mon pays.

.......


( voulez vous une photo du costume n'hésité pas à me le dire ;) )

The Red IceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant