Diana
La soirée commençait bien, les patineurs étaient présents, tout comme nos coachs et partenaires. Ma mère ne faisait pas partie de cette soirée, ce qui est une des raisons pour lesquelles je l'aime tant. Tout le monde était là pour une personne en particulier. Je ne l'ai pas encore vue, cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas regardé de photos de lui puisque je m'étais retirée des réseaux sociaux. Leila et Anna m'ont accompagnée à cette soirée de charité, même si je ne participe pas au tirage au sort. Sortir de mon cocon était nécessaire.
À l'approche d'Halloween, nous avions une tradition : nous déguiser à chaque fois que nous nous voyions. Hier, au cinéma, le thème était "sorcières". On n'était pas tellement effrayantes, pourtant on a failli se faire agresser, et attendre notre sauveur était du suicide. Grâce à lui, je ne sais pas ce qui aurait pu se passer, et je ne veux même pas essayer d'imaginer. Ce soir, notre thème, c'est "Les Super Nanas". On a juste respecté les couleurs, parce qu'un déguisement ici serait bizarre. Leila a pris Rebelle, Anna Belle, et moi Bulle. Le bleu est une couleur que j'adore, on l'associe à la froideur, et je suis la froideur. Je vis dedans.
– Leila et moi, on va voter. Pour l'instant, cherche ce prince, on ne l'a pas encore vu, j'aimerais tellement jouer du piano à son mariage.
– Tu ne penses qu'au travail ! Non, Didi, cherche-le et stp, fais-toi draguer, cette robe et ta coiffure, sérieusement, doivent être enlevées simplement par un prince.
Leila pose toujours des questions directes, mais le meilleur, c'est qu'elle est vraiment sérieuse. C'est ça, le pire.
– S'il vous plaît, allez voter, là. Moi, je dois boire un verre pour oublier que ça fait un siècle que je n'ai personne.
Dans une petite ville, c'est difficile de trouver un mec. Je ne cherche pas une relation amoureuse, juste un plan sans lendemain. Je vis encore chez ma mère, je n'ai ni job, ni études, ce qui fait que les seuls hommes que je côtoie sont mon coach, le boulanger, et mon propriétaire. Bref, des hommes mariés qui ont l'âge de mon père. Ma dernière relation remonte à six mois, et encore, ça n'a duré que quelques minutes, parce que c'était un père célibataire et que la nounou avait une urgence.
Je les vois partir, je recule pour commencer à chercher quelque chose à boire et à manger. Cela fait une semaine que ma mère est partie chez son copain, je n'ai plus rien. Elle ne cherche même pas à me contacter ni à venir voir si tout va bien. Je me suis habituée, au fil des années. Elle partait pour une durée indéterminée et ne revenait que lorsque cet homme la quittait, et après, elle déversait tout sur moi. L'enfant que j'étais était tétanisé. Plus je me rappelle, plus j'ai de la peine pour cet enfant. Vous allez me dire : pourquoi elle ne t'emmenait pas chez ton père ? La réponse, c'est qu'elle le détestait tellement d'avoir réussi après son départ qu'elle préférait me tuer de l'intérieur plutôt que de me sauver. Quand j'étais ado, je priais pour que son nouveau mec la quitte pour qu'elle revienne, mais maintenant, je prie pour le contraire. Elle m'a toujours abandonnée, et je me demande, si ses relations avaient marché, m'aurait-elle abandonnée ? Mon père ne sait rien, il a tellement de travail que je préfère qu'il m'appelle pour qu'on rigole plutôt que de lui raconter tout ça.
Arrivée au buffet, je regarde si personne ne me voit. J'ouvre mon sac et je commence à prendre un peu de tout, en double. J'aurais pu dire que c'est honteux, mais je survis, j'en ai besoin.
Alors que je prends un cookie, une main attrape mon bras. Je lève la tête et remarque deux paires d'yeux sombres, des cheveux parfaitement coiffés et un costume qui met en valeur ses larges épaules. Ensuite, je regarde ses lèvres, elles sont pulpeuses, elles donnent envie de les goûter.
– Vous ?
– Moi ? On se connaît ?
– Non, mais vous vous comportez comme un raton laveur. Vous ne mangez pas chez vous ?
1-0 pour cet inconnu aux belles lèvres.
– Ma sœur ne pouvait pas venir, alors je lui rapporte.
Il recule d'un pas.
– Attendez, vous me surveillez ?
– C'est la meilleure, celle-là. Je ne surveille personne.
– Alors occupez-vous de votre cul, pourquoi embêter le monde ? Vous avez faim ? Servez-vous, hein, pourquoi faire le radin ?
Il ricane avec un air choqué, comme si personne ne lui avait jamais parlé ainsi.
– Mademoiselle, calmez-vous, ai-je touché un point sensible ?
– Le seul point sensible que je retiens, c'est que tu m'as regardée prendre des cookies, et puis, merde, pourquoi je te vouvoie ? Si t'es fâché ou que t'as un problème avec moi, écris à la famille royale pour que je finisse au cachot, tss.
Je range le cookie dans mon sac, je le regarde avec mépris, et sans attendre ce qu'il a à dire, je me dirige vers mes amies.
– Y'a un mec tordu ici. Je ne l'ai jamais vu, quel con.
Avant qu'elles ne répondent, le directeur de la patinoire monte sur l'estrade.
– Patineurs, coachs et partenaires, merci d'être venus ce soir. Grâce au don de la famille royale, notre patinoire pourra être officiellement rénovée. Je tiens aussi à remercier le prince de s'être déplacé jusqu'à York pour cette soirée et d'être le prochain garant de nos patineurs qui vont participer aux championnats nationaux.
Tout le monde commence à applaudir, le prince n'a pas encore daigné montrer sa tête.
– Je vais vous rappeler les règles. Ce soir, il y aura un tirage au sort de nos meilleurs patineurs. Chaque urne contient les catégories : les enfants filles et garçons, puis en couple, ensuite pareil pour les adultes et ados. Au total, ce sera un groupe qui sera encadré par nos coachs et aussi par le prince pendant les semaines à venir. Je laisse donc la place à Son Altesse.
Il recule, laissant place au prince qui monte sous des applaudissements, et là, mon cœur s'arrête. Il commence à faire son discours, mais je n'entends rien. Je viens de faire la pire erreur de ma vie : j'ai embrouillé le prince, et non un inconnu. Oh mon dieu, quelle conne. Alors qu'il est en train de donner les résultats, mon anxiété revient. Et si mon père se faisait virer de son boulot de diplomate ? Et s'il allait parler de moi sur les réseaux sociaux ? Et si, maintenant, il disait à tout le monde que je suis une voleuse de nourriture, et que je finissais en prison, et qu'on me bannissait ? Je vais devenir quoi ? Ma mère va me tuer.
– Diana, dans la catégorie solo adulte féminin.
Quoi ? Je regarde autour de moi, mais ma crise a pris le dessus. Je ne vois plus rien, je n'entends plus rien. J'ai l'impression que mon crâne va exploser, j'ai mal au cœur, il va sortir de mon corps. Les images des Jeux olympiques me reviennent en tête, son visage plus particulièrement. J'ai envie de vomir, je ne me sens pas bien, et mon manque de nourriture me rattrape. Comme aux JO, je deviens cette honte en m'effondrant inconsciemment, comme la ratée que je suis.
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The Red Ice
RomanceDiana a grandi dans la froideur, n'ayant connu que la chaleur de son souffle sur la glace après des heures d'entraînement. Tout son être se concentre sur un seul but : atteindre cet objectif qui l'obsède depuis toujours. Mais tout bascule quand il e...