Black Coats #1 : Improductifs

Chapitre 10

« Si j'avais su, j'y aurais réfléchi à deux fois... »

La voix de Marie trahit son regret tandis qu'elle observe les deux mâles entamer leur copieux repas. Tous deux mangent allègrement, engloutissant l'équivalent de plusieurs portions humaines, savourant la cuisine coréenne qui leur est servie, sous le regard dégoûté de leur collègue féline. Les deux femelles, plus mesurées, ont opté pour des plats légers, moins chargés en matières grasses, à l'instar de leur supérieure.

À présent habillés de vêtements civils, ayant laissé leurs imposants manteaux et tenues noires au nouveau QG, les quatre Ash'Keths ne passent néanmoins pas inaperçus dans le petit restaurant. Les quelques clients présents jettent sur eux des regards furtifs, fascinés ou intrigués. Bien que leur espèce soit arrivée sur Terre depuis plus de cinq ans, leur présence parmi la population reste rare en raison de leur faible nombre. À ce jour, environ dix mille individus sont actifs au sein de la Nation, tandis que le double demeure encore en stase, leurs fonctions vitales ralenties au point qu'ils ne vieillissent plus, les Dirigeants attendant des conditions propices à leur réveil.

Erun'Hak se régale de la viande blanche assaisonnée, qu'il trouve exquise en comparaison de ce qu'il a dû endurer ces dernières années. La nourriture de la prison est connue pour son austérité, et les rations strictes imposées par la Nation ne sont destinées qu'à maintenir un métabolisme fonctionnel, sans aucune attention pour le plaisir gustatif. Ses crocs n'ont rien goûté d'aussi savoureux depuis son incarcération, et il compte bien en profiter pleinement.

« Vous me le dites si ça ne vous plaît pas... ironise Marie.

— J'ai toujours aimé la cuisine coréenne, répond Taom en se léchant les doigts avec sa langue impressionnante.

— Excellente adresse, Lieutenante, renchérit Erun'Hak, la gueule pleine. Je la déclare officiellement comme étant notre second QG.

— Je suis d'accord que c'est bon, mais ça reste un boui-boui, rétorque Marie, peu enthousiasmée. La viande est super transformée, il n'y a plus grand-chose de naturel dedans.

— Rien qui gâche mon plaisir. Tant que vous avez pas passé deux ans en taule à bouffer de la bouillie sur un plateau métallique, vous  pouvez pas comprendre. »

À peine a-t-il fini sa phrase qu'il réalise avoir réveillé un sujet délicat, laissé en suspens. Le visage de Sanders lui revient en mémoire, chargé de défiance, et cette phrase, lancée uniquement pour le provoquer, résonne à nouveau. Elle le compromet en tant qu'Alpha, en tant qu'exemple à suivre. Dans le silence qui s'installe autour de lui, Erun'Hak perçoit l'embarras de ses compagnons.

« J'ai fait une énorme erreur qui m'a coûté ma liberté, avoue-t-il. J'avais l'intention de vous en parler. Je veux être transparent avec vous.

— On a tous fait des erreurs, Alpha, le rassure Shirah. Tu n'as pas besoin de te justifier.

— Justement, si. Je dois vous en parler, et je le ferai. Mais pas ici. »

Son regard se tourne vers les autres tables du restaurant, où quelques curieux le dévisagent brièvement avant de retourner à leurs occupations.

« Je suis désolée pour l'attitude de Sanders, enchaîne Marie. Je connaissais son opinion sur le projet, mais je ne pensais vraiment pas qu'il allait vous attaquer aussi frontalement.

— Vous avez parlé de griefs, Lieutenante ? intervient Rin'Kaï.

— Sanders est américain, originaire de Floride. Là-bas, il n'était pas Capitaine, mais Commandant. Pour faire court, il était responsable d'une opération d'exfiltration au Brésil qui a mal tourné et coûté la vie à plusieurs de ses hommes. Suite à cet échec, les autorités américaines se sont tournées vers la Nation pour finir le travail, et ça a été un succès. Après une mise à pied et une rétrogradation, il a été transféré en France, au sein des FPR, en tant que Capitaine. C'était il y a deux ans, et aujourd'hui, il dirige notre opération. Ironique, non ?