Writober 2024

Que tombent les masques

Cela fait un an que je fais partie d'un club de lecture. Le QG, comme on l'appelle, se trouve à la bibliothèque municipale. C'est mon cousin qui m'y conduit tous les mercredis. Il a une voiture et travaille juste à côté, à la mairie.

En réalité, je n'ai jamais aimé la lecture. Je me dirige plutôt vers une maison à cinq minutes de là. C'est un club de dépressifs anonymes. C'est mon dernier soutien mental depuis ma tentative de suicide.

Le club est composé d'une petite dizaine de membres. Pour préserver l'anonymat le plus complet, nous portons un costume et un masque qui étouffent nos voix. Là, on peut tout dire, sans craindre le moindre regard ni jugement.

J'étais la plus réservée au début, mais aujourd'hui, je me sens plus à l'aise. On m'a rassurée, on m'a ouvert une maison. Et maintenant, je rentre chez moi, impatiente.

Mon cousin me dépose devant la bibliothèque.

— Amuse-toi bien, dit-il avec un sourire.

— Merci, bon travail, je réponds en fermant la portière.

C'est devenu un échange automatique. Nous ne nous sommes jamais vraiment entendus à cause de notre différence d'âge. Je regarde sa voiture s'éloigner, puis je passe devant la bibliothèque et m'engage dans une ruelle où je me déguise rapidement.

Quand j'entre dans la salle de réunion, tout le monde est déjà là. Je suis la vice-présidente à cause de mon ancienneté. La compagnie me salue : il y a des momies, des zombies, des vampires, des yétis, et surtout, un dinosaure vert pomme. C'est mon binôme, car nos costumes vont par paire.

Je prends place sur le cercle magique et présente le programme du jour. Nous allons participer à un jeu en binôme, et chaque équipe devra choisir un thème. Tout le monde accepte, et moi et Vert Pomme partons nous concerter.

— Eh bien... C'est aujourd'hui, Rose Bonbon, dit Vert Pomme en agitant ses petites pattes ridicules.

— Oui, je réponds, le cœur battant. Tu es prêt ?

— Oui oui. À trois, on enlève ?

Je hoche la tête avec un léger tremblement. Vert Pomme est celui qui m'a vraiment aidée à sortir de ma dépression et à retrouver un semblant de stabilité. En partageant nos soucis, nous sommes devenus très proches.

Je ne sais pas pourquoi nous en avons décidé ainsi, mais aujourd'hui, nous avons planifié de révéler nos identités, en profitant du jeu. En réalité, nous voulons nous connaître en tant qu'humains, et non plus en tant que dinosaures. Le physique m'importe peu, je l'apprécie avec un masque et je suis prête à l'apprécier sans. C'est une simple curiosité.

— ... Trois !

Nous faisons tomber nos masques. Je souris d'abord, mais je ravale mes lèvres. Je manque de m'évanouir en le découvrant. Je recule, stupéfaite, et quitte la pièce précipitamment. Frustration et désespoir se mêlent en moi. Qui l'aurait cru ?

En marchant dans la ruelle, toujours en dinosaure, je retrouve peu à peu mes esprits. Je me change rapidement et rejoins la bibliothèque où j'attends, la tête entre les bras, la poitrine secouée par les sanglots.

À l'heure habituelle, mon cousin arrive. Il klaxonne une fois pour me sortir de ma torpeur, et je monte dans la voiture. Dans la boîte à gants entrouverte, je vois son costume vert pomme.