Poupées ensorcelées

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Cet automne, les feuilles avaient jauni prématurément. La rentrée scolaire était encore toute fraîche, de même pour les vacances. Les beaux jours terminés, c'est dans une atmosphère fade pourtant colorée que la cour de récréation reprenait vie.

Le vent souffla les feuilles mortes encore suspendues aux branches. Dans sa salle de classe aussi silencieuse qu'une tombe, Colin se sentait mal à l'aise. Peut-être ne s'était-il pas encore remis de ses escapades en bateau à voile. En fermant les paupières, il put revoir la mer ondulante et la courbe sinueuse de la rive. Au loin, sa barque tanguait sous les flots.

En ouvrant les yeux, les images imprimées dans sa rétine se précisèrent. La mer devient le bleu du ciel, le sable la bordure de la fenêtre, et la barque une drôle de feuille qui avait gardé la verdure du printemps.

Le vent transporta la rebelle sous un tsunami invisible, la faisant danser dans les airs pour finalement clôturer le balai en entrant par une fenêtre.

Les longs cheveux noirs de Naomie reçurent la végétation. Elle l'enleva avec étonnement et la jeta d'où elle venait. Colin suivit sa chute des yeux.

"La voilà qui retourne dehors", songea-t-il.

Il regarda ensuite Naomie dans un geste mécanique.

Sans prévenir, la fille fut secouée d'un violent spasme. Elle hurla en se débattant comme si elle s'était asphyxiée. La classe paniqua alors que la fille semblait souffrir davantage.

Elle se tordit dans tous les sens, râla comme une bête blessée à la gorge, et toussa une énorme flaque de sang. Un dernier soubresaut secoua son agonie, et elle se rigidifia complètement.

Les élèves étaient tous sortis, excepté Colin. Comme dans un rêve, il vit son professeur tâter le pouls de Naomie, reculer avec horreur et sortir à son tour.

S'étant remis de sa surprise, Colin s'avança vers le corps et chercha des signes vitaux. L'évidence était à son comble : il n'y avait plus qu'un cadavre.

Il observa le visage pâle taché de rouge, et remarqua que les yeux étaient grands ouverts, avec des iris sombres. Sans émotion, Colin referma les paupières et regarda par la fenêtre. Des feuilles oranges faisaient la sarabande comme pour saluer la morte dans une danse macabre. Une bouffée d'air ébouriffia ses cheveux, et il s'en alla ranger calmement ses affaires pour rentrer chez lui.

Le chemin de retour semblait lugubre, tout était d'un gris métallique. Les murs et le trottoir bougeaient étrangement, comme s'ils étaient derrière un mur d'eau sur lequel des cailloux invisibles se ricochaient à l'infini. C'est avec une conscience incertaine que Colin put parcourir le demi-kilomètre entre sa maison et son établissement.

Sitôt dans sa chambre, il jeta ses affaires sur son bureau et se jeta sur son lit. Il se mit alors à sangloter dans son oreiller sans pouvoir se retenir.

Au bout de quelques minutes, sa crise se calma et il arrosa son regard sur son entourage, comme pour chercher un soutien quelconque dans sa détresse. Ses yeux se heurtèrent aux poupées jumelles soi-disant ensorcelées que lui avaient offertes Naomie. Elles se nommaient Beth et Buzél...

Colin les prit dans ses bras et les serra fortement. Un déclic se fit dans sa tête et son sang ne fit qu'un tour. Les deux noms combinés formaient l'anagramme de Belzébuth.

Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant