L'histoire de la mort

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Toc toc*

— Coucou, c'est encore moi. Qui ça, moi ? Mais Sharone, la Faucheuse, voyons. Vous ne vous souvenez pas ? Je vous ai rendu visite il y a six ans. Ah, vous voyez, la mémoire vous revient. Mais revenez, vous n'allez quand même pas vous réarmer avec ce cendrier de malheur ? Je ne suis toujours pas là pour vous emporter, ne vous en faites pas.

J’estime simplement que vous êtes l'une des rares personnes à avoir été attentives à mes histoires, et... En ces temps difficiles, j'aimerais bien avoir une oreille à l'écoute. Un peu comme un psychologue, en fait. J'en ai essayé plusieurs, mais ces bougres sont tous tombés dans des cageots de pommes.

Pourquoi vous riez ? Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? Vous avez changé, dites donc, vous n'êtes plus ce même trouillard qui menaçait de faire une crise cardiaque. D'ailleurs, vous avez perdu du poids, non ? Ma remarque vous a touché ? Vous savez, vous étiez très bien avant, j'ai dit ça juste pour... Enfin bref.

Aïe, doucement ! C’est quoi cette manie de me tapoter ? Quoi, vous voulez que j'entre ? Vous avez peur du regard des voisins je suppose ? Célibataire comme vous l'êtes depuis un siècle, vous devriez vous réjouir d'avoir la visite d'une dame aussi distinguée. Oui, bon, je suis toujours chauve, mais c'est votre faute, aussi. Pourquoi avoir été si radin avec la perruque ? Elle ne vous appartenait même pas.

Ouf, merci de m'inviter à m'asseoir, je commençais à avoir les mollets qui flageolent. Le fémur, pardon, si vous tenez tant à me reprendre sur tout et n'importe quoi. C’est drôle, votre maison n’a pas changé. Par contre, vous, vous êtes devenu plus paresseux. Empiler trois casseroles sur vingt-quatre assiettes, ce n’est pas très responsable.

Si je suis toujours en grève ? Nan, j’ai eu une augmentation, le syndicat m’a bien aidée. Mais attention, je reste toujours fauchée... Hihihi, vous l'avez, celle-là ? D'accord, ce n’est pas drôle, mais vous auriez pu faire semblant de rire. J’ai perdu beaucoup de mon humour ces derniers temps, vous savez.

Ah, vous êtes prêt à écouter mes problèmes ? Chouette, j’ai presque envie de vous embrasser... si seulement j’avais des lèvres. Oh, c'est mesquin, de ne pas aimer le contact avec les dentiers ! Enfin bref, passons.

Bon, je commence. Il faut savoir qu’avant, bien avant, la mort n'existait pas. On se prenait un gros caillou sur la caboche, et on pouvait encore danser la Macarena. C'était le bon vieux temps. Mais petit à petit, les cailloux en ont eu marre. Imaginez vous fracasser sur une tête, et cette tête se relève encore...

Vous pensez que je vous fais avaler de la soupe aux choux ? Mais non, je vous dis la vérité ! D'accord, d’accord, j’invente un tout petit peu. Mais j'essaie au moins de vous faire rire, parce que le monde est devenu bien morose. On ne peut plus rire de tout et n'importe quoi. Les blagues acceptables sont plates comme la terre. J’avais beau essayer des jeux de mots, des débilités… rien n’y fait. Je ne suis plus drôle. Je veux presque mouri-hi-hi-hir...

Bouhouhou*

[Affaire à suivre]

Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant