Le Règne Des Ténèbres - jour 5

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Dans un monde parallèle à celui des humains, loin des regards curieux et des lumières éclatantes, existait un royaume sombre, mais étrangement harmonieux. Les ténèbres ici n'étaient pas froides ou oppressantes. Elles étaient douces, apaisantes, comme une couverture noire enveloppant chaque être. C'était le monde des monstres, ces créatures que les enfants craignaient de trouver sous leur lit ou dans leurs placards.

Ce royaume, appelé Noxium, n'était pas un lieu de terreur, mais une cité vivante et joyeuse. Les rues pavées de pierre obsidienne résonnaient des rires graves et des discussions animées. Les bâtiments, faits de matières sombres et sans reflets, se dressaient en architectures curieuses, aux angles impossibles et aux tours qui semblaient disparaître dans le néant. Pas de soleil, ni de lune, ni de lampes : tout était enveloppé dans un crépuscule permanent.

Les monstres vivaient ici, libérés des craintes et des superstitions humaines. Ils n'étaient pas les cauchemars que l'on racontait dans les histoires. Au contraire, ils formaient une société unie, chacun trouvant son rôle et son bonheur dans cette étrange pénombre. Ces créatures prenaient diverses formes : des ombres serpentines, des figures difformes aux multiples yeux, ou encore des silhouettes massives aux griffes acérées. Mais dans ce monde, ces différences n'avaient pas d'importance. Ici, tous étaient égaux.

Le cœur de Noxium était son marché central. Chaque soir – car le jour n'existait pas – les habitants se rassemblaient pour échanger des biens et des histoires. À l'étal d'un marchand, on trouvait des essences de cauchemars capturées, utilisées pour se nourrir ou pour forger des objets de puissance. Plus loin, un artisan vendait des vêtements faits d'ombre pure, qui ondulaient doucement comme un tissu vivant.

C'est au centre de cette activité que vivait Morbane, une créature aux yeux perçants et à la peau luisante comme du goudron. Contrairement aux autres, il n'avait jamais véritablement aimé le contact avec les humains, bien qu'il eût jadis été l'un des meilleurs "chasseurs d'enfants". Morbane n'attaquait pas, bien sûr. Le travail des monstres consistait à veiller sur les enfants, à leur offrir des frissons pour qu'ils apprennent à apprivoiser leurs peurs. Mais Morbane trouvait que le lien avec le monde des humains s'était affaibli. Les enfants n'avaient plus peur comme avant.

Un soir, alors qu'il se promenait dans les rues de Noxium, il remarqua un groupe de jeunes monstres assis en cercle, écoutant avec fascination une vieille figure au dos voûté et à la longue chevelure flottante, Sombra, une sage du royaume.

« Il fut un temps », disait-elle, « où les enfants craignaient chaque ombre sous leur lit. Ils nous appelaient, nous invoquaient même dans leurs cauchemars. Nous étions une partie de leur monde, et eux une partie du nôtre. Mais aujourd'hui... aujourd'hui, ils oublient. »

Les jeunes monstres échangèrent des regards inquiets. Morbane, lui, sentait que quelque chose manquait à leur société. Ils vivaient en paix, oui, mais sans leur lien avec les enfants, leur raison d'être disparaissait peu à peu. Leurs voyages dans le monde humain étaient devenus plus rares, et les enfants eux-mêmes avaient cessé de croire en eux.

Soudain, une idée lui vint. Il se leva brusquement et prit la parole, sa voix grave résonnant dans le silence.

« Et si, au lieu de simplement les attendre, nous retournions dans le monde des enfants pour leur rappeler qui nous sommes ? Pas pour les effrayer, mais pour ranimer la flamme de leur imagination ? »

Sombra hocha lentement la tête, ses yeux pétillants dans l'obscurité. « Ce serait risqué, Morbane. Mais peut-être est-ce ce qu'il nous faut. Les enfants d'aujourd'hui ont besoin de retrouver leurs monstres, comme nous avons besoin d'eux. »

Les jeunes monstres applaudirent cette idée. Leurs esprits, autrefois tourmentés par l'idée de perdre leur lien avec le monde des vivants, retrouvaient espoir. Et ainsi, ce fut décidé.

Ce soir-là, pour la première fois depuis des siècles, les monstres de Noxium retournèrent discrètement sous les lits, dans les placards, et dans les coins sombres des chambres d'enfants. Ils ne cherchaient pas à terroriser, mais à inspirer. Car sans peur, les rêves perdaient de leur magie, et sans monstres, les enfants perdaient leur force intérieure.

Et sous les ombres protectrices de Noxium, une harmonie nouvelle naquit entre les deux mondes.

Faucheuse en grêve ! | Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant