1: Rencontre

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Le vent de la mer emportait avec lui une odeur d'embruns salés et de liberté. Les vagues venaient mourir doucement sur la plage, laissant derrière elles un murmure apaisant, un rythme que Gabriel trouvait fascinant. Il passait ses journées là, assis sur le sable, un carnet de croquis à la main, observant le ballet hypnotique de l'eau et du ciel. Chaque détail comptait : la façon dont la lumière s'accrochait à la crête des vagues, ou le contraste entre les nuages et la mer d'un bleu profond. 

Pourtant, ce n'était pas la mer qui accaparait vraiment son attention. C'était lui. Elias.

Chaque matin, à la même heure, Elias venait courir le long de la plage. Ses foulées étaient fluides, régulières, et Gabriel le regardait, dissimulé derrière ses esquisses, pris entre le désir d'aller lui parler et la peur de ce qu'il pouvait représenter. Elias semblait libre, lumineux, tout ce que Gabriel n'avait jamais osé être. Depuis des jours, il était un spectateur silencieux, se perdant dans les mouvements gracieux de cet homme qu'il n'osait accoster. Les doutes et les fantômes de son passé pesaient trop lourd pour qu'il puisse simplement se lever et dire *bonjour*.

Chaque fois que Gabriel faisait mine de se lever, son estomac se serrait. La peur d'être rejeté ou, pire encore, de revivre cette honte enfouie en lui le paralysait. La dernière fois qu'il avait osé s'ouvrir à quelqu'un, il n'avait récolté que des blessures, physiques et émotionnelles. Les souvenirs du vestiaire, des mains qui ne lui avaient pas laissé le choix, de la douleur et de la honte, refaisaient surface chaque fois qu'il tentait de se rapprocher de quelqu'un. Pourtant, Elias semblait différent.

Ce matin-là, quelque chose dans l'air était différent. Peut-être était-ce la lumière dorée du soleil qui illuminait l'horizon, ou la douceur du vent, mais Gabriel se sentait prêt. Il sentait cette vague de courage monter en lui, fragile mais réelle. "Aujourd'hui, je lui parlerai" se répétait-il en silence, serrant son carnet de croquis contre lui comme un bouclier.

Elias venait de finir sa course, ses cheveux humides de sueur et de sel, ses pieds marquant la plage de petites empreintes éphémères. Il s'était arrêté non loin de Gabriel, contemplant la mer d'un regard lointain. C'était une chance. Il était seul, détendu, le moment était propice. Gabriel se leva, ses jambes légèrement tremblantes, et s'avança.Les secondes semblaient s'étirer à mesure qu'il approchait. Il imaginait déjà la scène dans sa tête : une rencontre banale, quelques mots échangés, un sourire peut-être. Pourtant, chaque pas lui coûtait une énergie qu'il ne soupçonnait même pas. Puis, il s'arrêta à quelques mètres de lui. Elias ne l'avait pas encore remarqué.

- Salut, murmura Gabriel d'une voix presque inaudible, incertain si le mot avait même franchi ses lèvres.

Elias se retourna, et leurs regards se croisèrent pour la première fois. Ce fut comme une décharge, une sensation étrange mais apaisante, comme si l'univers avait attendu ce moment. Les yeux d'Elias étaient d'un vert profond, brillants, curieux. Il ne semblait ni surpris ni méfiant. Juste... ouvert.

-  Salut, répondit Elias avec un sourire doux, essuyant son front d'un revers de la main. T'es là tous les jours, non ?

Gabriel sentit son cœur s'emballer. Il l'avait remarqué. Depuis combien de temps le regardait-il lui aussi, à la dérobée ? Cette simple question brisa une partie de la barrière qui l'enveloppait.

- Oui... J'aime dessiner ici, la mer m'inspire, répondit Gabriel, en désignant maladroitement son carnet.

Elias jeta un coup d'œil au carnet, visiblement intrigué.

- Tu me montres ? demanda-t-il, sans détour ni hésitation, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

Gabriel sentit la panique monter. Montrer ses dessins, c'était comme ouvrir une partie de lui-même, laisser entrevoir ce qui se cachait derrière ses cicatrices invisibles. Il hésita une seconde de trop, mais quelque chose dans le regard d'Elias le rassura. Il se décida et ouvrit son carnet, dévoilant des esquisses de la mer, du ciel, et des silhouettes humaines, dont certaines ressemblaient étrangement à Elias lui-même.

Entre Ombres et LumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant