Partie I - Chapitre 8

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30 juin - Journal de bord du Capitaine Sax

Nous avons repris la mer il y a trois jours. Nous ferons une dernière escale avant Low Tide Cove afin de nous réapprovisionner en eau. La nourriture ne devrait pas être un problème. Nous n'aurons pas les moyens d'acheter autre chose de toute manière. J'espère que les affaires seront bonnes sur l'île sinon cela risque de poser problème.

J'ai entendu parler d'une île cachée à l'Est. Les rumeurs disent qu'un trésor y est enterré. Je tiens d'abord à passer par Low Tide Cove, mais l'aventure fera du bien aux hommes.

...

- Encore le nez dans les nuages Capt'ain ? ricana Rupert en redressant légèrement le navire qui déviait de son cap.

Jacob sursauta et baissa la tête vers son second. Ses joues n'avaient pas rougit, mais l'air neutre du Capitaine ne trompa pas le colosse. Depuis que le navire avait levé l'ancre, quelques jours plus tôt, le regard de Jacob ne cessait de se perdre dans les nuages, plus particulièrement en direction du grand mât. Après l'agression de Caleb dans les bas-quartiers de Concarna, lui et le Capitaine étaient devenus pratiquement inséparables. Lorsque Caleb était obligé de monter à son poste, il passait plus de temps le regard rivé vers le gouvernail plutôt que sur l'horizon, lui attirant régulièrement les remontrances de Léopold. Jacob, de son côté, devait se forcer à ne pas laisser son attention dériver vers le ciel où il pouvait distinguer la mince silhouette élancée de l'objet de ses désirs.

Pourtant, chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls dans leur cabine, les deux hommes se contentaient de s'embrasser avant de regagner leurs couchages respectifs. Le lit de Jacob lui semblait froid et immense sans son garçon aux cheveux châtains et au regard sombre pour lui tenir compagnie. L'envie d'attraper Caleb par le poignet pour le jeter sur son lit, de lui arracher ses vêtements et de s'enfoncer en lui d'un seul mouvement devenait dévorante. Plusieurs fois, Jacob avait failli céder à ces pulsions violentes. Il avait toujours résisté et s'était contenté d'embrasser longuement son partenaire avant de le laisser s'étendre dans le petit hamac du bureau. Jamais son désir pour un homme ne l'avait autant torturé. Pourtant, il aurait préféré endurer mille tourments plutôt que de forcer le garçon. Il tenait à le laisser avancer à son rythme. Pour la première fois dans sa vie de pirate, Jacob laissait à quelqu'un le contrôle total d'une situation. C'était à la fois extrêmement frustrant et étrangement grisant.

Dans son hamac, Caleb se prenait à imaginer les mains de son capitaine le caresser et sa bouche déposer d'ardents baisers dans son cou ou entre ses cuisses. Son souffle se faisait plus haletant chaque fois que ces images l'assaillaient et il devait se forcer à ne pas laisser les gémissements qui montaient dans sa gorge passer la barrière de ses lèvres. Plus les jours passaient et plus Caleb avait toutes les peines du monde à se retenir. L'envie de sentir le corps de son capitaine contre lui devenait incontrôlable. Pourtant, chaque fois que les baisers de Jacob se faisaient plus appuyés, chaque fois que ses mains se refermaient autour de sa taille ou que la bouche du capitaine embrassait son cou, Caleb se reculait immanquablement et se réfugiait dans son hamac, prétextant qu'il était fatigué. Il désirait Jacob comme il n'avait jamais désiré personne auparavant, mais les images du cauchemar qu'il avait vécu durant deux longues années lui revenaient systématiquement. Lorsqu'il essayait d'imaginer ce que cela serait de sentir le membre gonflé de Jacob s'enfoncer dans son intimité, le visage dur et froid du capitaine du Tempête s'imposait à lui et il se retrouvait paralysé.

Au fond de lui, Caleb savait que ce qu'il avait vécu laisserait une marque indélébile dans son esprit. Pourtant, il avait trouvé sa place sur le Neptune. Il commençait à reprendre confiance en lui et en les autres, au point qu'il pouvait maintenant assister sereinement aux soirs de veillées. Il avait découvert qu'il adorait les histoires de monstres, de trésor et d'aventure que le vieux Léopold s'amusait souvent à conter. Pressés les uns contre les autres, sur le pont, les pirates écoutaient avec attention les récits palpitants du vieil homme. Parfois, l'un d'eux accompagnait le conteur de son flûtiau ou de sa vielle. Si, au début, Caleb se contentait d'écouter les échos lointains de la voix rauque du vieil homme ou les notes pincées des instruments du haut de sa vigie, il s'était vite résolu à descendre pour pouvoir profiter des récits et de la musique. A présent, assis en tailleur devant le conteur, il se noyait dans les mots qui le faisaient voyager aussi sûrement que ses livres. Lorsqu'il le pouvait, il s'amusait à suivre Léopold partout pour tenter de deviner quel serait le thème de la prochaine veillée. A son grand désarroi, il ne parvenait jamais à obtenir plus qu'un sourire mystérieux ou un clin d'œil de la part du vieux conteur. Caleb avait fait des veillées une telle habitude que les autres membres de l'équipage lui installaient régulièrement une place réservée avec un sac de blé pour qu'il puisse s'asseoir confortablement. Pour lui laisser le plus d'espace possible, ils se serraient encore plus entre eux, créant une bulle protectrice autour du jeune homme, sous l'œil amusé de Jacob.

[MxM] Le coeur du NeptuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant