Les semaines ont filé à une vitesse vertigineuse, et quelque chose a changé. Tout a commencé par des échanges hésitants, quelques mots échappés par-ci par-là, jusqu'à ce que parler à Aiko devienne presque naturel. Presque. Parce que, malgré l’ambiance détendue qui s'est installée entre nous, il reste toujours cette distance, ce poids qui m’empêche d'être entièrement moi-même avec elle. On rit plus souvent maintenant, on partage de petites confidences sans importance, mais tout reste superficiel. Rien de ce qui se cache sous la surface n’est abordé, ni ses véritables sentiments, ni les miens.
Même avec nos amis, je sens que quelque chose flotte dans l’air, comme si tout le monde savait ce qu'il se passe entre nous, sans que personne ne dise rien. C'est frustrant, d’une certaine manière, mais peut-être que c’est mieux ainsi. Parce qu'au fond, je ne comprends toujours pas pourquoi Aiko s'intéresse à moi. Je n’arrive pas à me détacher de cette sensation que je suis... quelconque. Pourquoi elle passerait son temps avec quelqu’un comme moi ?
Et pourtant, à chaque fois que nos yeux se croisent, il y a cette lueur, ce quelque chose que je n’arrive pas à expliquer mais qui fait battre mon cœur un peu plus fort. Mais rien n’a été dit. Ni elle, ni moi n'avons prononcé ces mots qui pourraient tout changer.
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Un week-end, Hana propose une soirée pyjama chez elle. Un prétexte pour que tout le monde se retrouve, pour rigoler et se détendre après les longues semaines de cours. C'est une idée qui séduit tout le monde, y compris moi, même si l’idée de passer la soirée avec Aiko me stresse légèrement. J’accepte, plus par peur de paraître distante que par réel enthousiasme.
La soirée démarre plutôt bien. Nous sommes une petite dizaine, tous éparpillés dans le salon de Hana. Les pizzas sont arrivées, les boissons circulent, et les conversations fusent dans tous les sens. Aiko est assise non loin de moi, et nos regards se croisent plusieurs fois au cours de la soirée. Comme d’habitude, je me sens maladroite en sa présence, mais l'ambiance décontractée me permet de relâcher un peu la pression.
À un moment, alors que les discussions commencent à s’essouffler et que tout le monde semble un peu fatigué, Haruto propose un classique : « Et si on jouait à action ou vérité ? »
Je grogne intérieurement. Ce jeu est toujours risqué, surtout avec ce groupe. Ils savent trop bien quelles questions poser pour te mettre mal à l’aise. Mais je ne dis rien, me contentant de suivre le mouvement.
Le jeu commence doucement. Des vérités sur les secrets d’enfance, des actions amusantes comme chanter une chanson ridicule ou faire un tour sur soi-même en criant le nom d’un super-héros. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’on arrive à moi.
— Suki, action ou vérité ? demande Hana avec un sourire malicieux.
Je fronce les sourcils, hésitante. « Action » me fait peur, mais « vérité »… Je n’ai pas envie qu’on me pose une question embarrassante, surtout pas en ce qui concerne Aiko. Je prends une grande inspiration et murmure finalement :
— Vérité.
Hana échange un regard complice avec Haruto avant de sourire encore plus largement.
— Si tu devais choisir une personne dans cette pièce avec qui passer un week-end en tête-à-tête, qui choisirais-tu ?
Mon cœur rate un battement. Je jette un regard rapide à Aiko, qui évite soigneusement de me regarder. Les autres nous observent, attendant ma réponse avec impatience. Je sens mes joues brûler, et pendant un instant, je pense à dire un nom au hasard pour détourner l’attention, mais les mots ne viennent pas. Finalement, je finis par répondre avec hésitation :
— Euh... je ne sais pas, peut-être Hana ? dis-je avec un sourire forcé.
Tout le monde éclate de rire, et la tension se dissipe légèrement. Hana fait semblant d’être flattée, et le jeu continue, mais je sens encore le poids du regard d’Aiko sur moi. Je me demande si elle a compris que ma réponse n’était qu’une esquive.
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Le tour revient rapidement à Aiko. Elle semble un peu nerveuse, plus que d’habitude, mais elle reste calme. Natsuki, avec son sourire en coin, la fixe intensément.
— Aiko, action ou vérité ? demande-t-elle, déjà prête à la piéger.
Aiko hésite, et je la sens sur le point de choisir « action », mais finalement elle soupire et dit :
— Vérité.
Natsuki ne perd pas une seconde et pose la question que j’appréhendais le plus.
— Est-ce qu'il y a quelqu'un ici que tu trouves mignon ou mignonne ?
Cette fois, c'est moi qui sens mes joues s'embraser. Tout le monde attend la réponse d’Aiko avec impatience. Elle baisse les yeux, jouant nerveusement avec ses doigts. Je peux sentir la tension monter dans la pièce, et une partie de moi espère qu’elle dira quelque chose, tandis qu’une autre espère qu’elle ne dira rien.
— Je... je suppose que oui, finit-elle par murmurer, mais elle ne précise rien.
Les autres grognent de déception, réclamant des détails, mais Aiko reste évasive, refusant d’en dire plus. Je respire un peu plus librement, soulagée qu’elle n'ait pas été plus précise, même si au fond de moi, je suis frustrée de ne pas savoir si elle pensait à moi.
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Le reste de la soirée se déroule plus calmement. Après quelques rounds de « action ou vérité », nous décidons de regarder un film, puis de discuter tranquillement. Je suis assise près d’Aiko, nos épaules se frôlant de temps en temps, mais aucune de nous ne fait de commentaire. C'est agréable, cette proximité, même si elle est silencieuse. Je me surprends à souhaiter que le temps s’arrête, juste pour profiter un peu plus de ce moment.
Vers minuit, tout le monde commence à se détendre, étalé sur des matelas ou des coussins, discutant de tout et de rien. Aiko est toujours à mes côtés, et même si rien n’a été dit, cette soirée a laissé quelque chose en suspens entre nous. Une question non posée, une tension non résolue.
Je me demande ce qu’elle pense vraiment, et surtout, si elle ressent la même chose que moi.
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Après le film, les conversations se dispersent en petits groupes, chacun échangeant des anecdotes de la semaine ou des blagues sur ce qu'il s’est passé plus tôt. Aiko et moi restons en silence, partageant un paquet de chips, les doigts se frôlant parfois. Cette proximité devient à la fois naturelle et pesante. Je voudrais dire quelque chose, mais je ne trouve pas les mots. Comment est-ce que je pourrais lui parler de ce que je ressens alors que moi-même, je ne suis pas sûre de comprendre tout ce qui se passe dans ma tête ?
Haruto s'approche de nous avec un sourire malicieux et un clin d’œil.
— Alors, vous deux, pas trop fatiguées ? On dirait que vous avez beaucoup à vous dire, non ?
Je rougis immédiatement, cherchant une réponse, mais Aiko intervient calmement :
— On est bien, merci.
Son ton est apaisant, et je sens mes épaules se détendre un peu. Peut-être qu’elle ressent la même chose que moi. Peut-être que, tout comme moi, elle attend le bon moment. Le bon moment pour quoi ? Je n’en suis toujours pas certaine.
La soirée se termine dans une atmosphère légère, et alors que je m’endors, allongée à côté d’Aiko, je ne peux m’empêcher de penser que quelque chose a changé ce soir.
A suivre...
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Ombres du passé
RomanceSuki, récemment sortie d'une relation brisée, lutte avec son manque de confiance et se dévalorise constamment. Lors d'un atelier de théâtre, elle rencontre une jeune femme pétillante et franche qui attire son attention, mais qui cache aussi un passé...