Chapitre 6

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Ce soir-là, après des jours à jouer au mystérieux admirateur, je me décide à lui laisser un autre cadeau. Je choisis quelque chose d'un peu plus personnel, un petit carnet en cuir noir.

Dedans, je glisse un mot simple : "Pour tout ce que tu veux garder pour toi. Quelqu'un est là pour t'écouter."

J'suis vraiment devenu un gros fragile de merde zebi.

J'attends la nuit tombée pour aller chez elle, comme d'habitude. Je prends soin de m'assurer que personne ne me voit, mais cette fois, un truc me tord l'estomac.

C'est comme si, pour une fois, j'avais envie de rester un peu plus longtemps, d'attraper ne serait-ce qu'un regard. Juste un instant, pour être sûr qu'elle apprécie.

J'arrive devant sa porte, je pose le carnet et me tourne pour repartir. Mais avant que j'aie fait deux pas, j'entends la porte s'ouvrir doucement derrière moi. Je m'arrête net, le cœur qui bat trop vite. Je sens son regard sur moi. Elle m'a vu.

« C'est toi, n'est-ce pas ? » Sa voix est douce, remplie de curiosité et de gratitude, mais je sens aussi une pointe d'émotion. Je reste figé, incapable de bouger, mais je garde la tête baissée, ma casquette cachant une bonne partie de mon visage.

Elle s'avance de quelques pas vers moi, sa voix hésitante mais sincère. « Merci pour tout. Vraiment. Ça m'a touchée, tu sais ? » Elle marque une pause, comme si elle cherchait ses mots. « J'aimerais bien te connaître. Je sais même pas qui tu es, mais... je sens que tu comprends des choses que d'autres ne voient même pas. »

Ses mots me frappent en plein cœur. Elle continue : « Pourquoi tu te cache? Tu sais, j'ai l'impression de te connaître, même sans te voir. Tu m'as fait sentir spéciale, et j'aimerais juste pouvoir te dire merci... en face. »

Un silence s'installe, et je sens cette envie irrésistible de me retourner, de lui répondre, de lui dire que c'est moi, que je suis là pour elle, que depuis le début, tout ce que je voulais, c'était de la voir sourire. Mais les mots restent coincés dans ma gorge.

Je reste immobile, figé dans cette hésitation, jusqu'à ce que je sente son regard devenir insistant, plein de questions, plein d'attente.

Je réalise que c'est trop. Le poids de ce moment, de ce face-à-face que j'ai tant redouté, me semble insupportable. Alors, sans un mot, je fais un pas en avant, puis un autre, et je m'éloigne doucement. Je m'échappe, laissant derrière moi ses questions sans réponses, son regard qui cherche encore, et ce dernier mot, étouffé par ma fuite.

Je m'éloigne dans la nuit, le cœur lourd. Je sais que je viens de laisser passer une chance, peut-être la seule que j'aurais jamais de lui dire qui je suis vraiment. Mais pour l'instant, je me contente de cette distance, de ce mystère qui me protège encore, même si au fond, j'ai juste envie d'être là, face à elle, sans rien cacher.

En fuyant, je comprends que je ne pourrai pas continuer ce jeu éternellement. Un jour, il faudra que je trouve le courage de revenir, de lui dire la vérité. Mais ce soir, ce soir je me contente d'être une ombre, celle qui veille sans se montrer, celle qui reste en retrait parce que c'est tout ce qu'elle sait faire.


Je rentre à la cité, l'esprit encore ailleurs, perdu dans ce moment que je viens de vivre avec elle. Je me gare sur le parking et je reste là, les mains sur le volant, la tête baissée. J'ai envie de tirer ou de frapper dans quelque chose, mais je me retiens. Je repense à son regard, à sa voix, à la façon dont elle m'a parlé comme si elle me connaissait déjà. Ça me fait mal de savoir que j'ai fui, que je suis incapable de m'ouvrir, même pour elle.

Je sors de la voiture et me pose sur un muret, allumant une clope pour essayer de calmer les pensées qui tournent en boucle dans ma tête. C'est alors que mon téléphone vibre dans ma poche. Je regarde l'écran : c'est Malik, mon pote d'enfance. Je décroche, en essayant de masquer l'agacement dans ma voix.

« Ouais, Malik, quoi de neuf ? »

« T'es où, frère ? Y'a un plan avec des gars de la cité d'à côté, tu viens ou quoi ? » Il a l'air pressé, excité, comme toujours quand il y a du mouvement.

Je soupire, hésitant. J'ai pas vraiment la tête à ça, mais je sais aussi qu'on peut pas dire non, surtout quand ça concerne des gars de la cité voisine. Y'a une vieille tension entre nous, et chaque échange, même pour un business, peut vite déraper.

« J'arrive, » je réponds sans conviction, écrasant ma clope sous ma chaussure. Je sais que c'est pas la meilleure idée, mais la loyauté envers Malik m'empêche de me défiler. Je rejoins le point de rendez-vous, un coin sombre derrière un entrepôt délabré.

Quand j'arrive, Malik est déjà là, avec deux autres gars de la cité. Face à eux, trois mecs de la cité d'à côté. Je sens direct que l'ambiance est tendue, un truc dans l'air qui pue le problème. On discute à peine cinq minutes que déjà les mots commencent à chauffer. L'un des mecs de l'autre cité balance une pique de trop, et avant que je capte, Malik s'élance vers lui et le chope par le col.

Ça part en vrille. Tout s'enchaîne tellement vite que je capte à peine ce qui se passe. Un des gars essaie de s'en prendre à Malik, alors je m'interpose, je le plaque au sol et lui met un coup de poing. La rage monte en moi, comme un volcan.

Je sens mes phalanges éclater contre son visage, et l'adrénaline me fait oublier la douleur un instant. Mais les autres gars se ramènent, et ça devient un chaos total. Les coups pleuvent, ça crie de partout, je sens mon visage chauffer sous les coups, ma lèvre éclate et un goût de sang envahit ma bouche. Je rends les coups, sans même savoir si je touche quelqu'un ou si c'est moi qui m'en prends plein la gueule.

Après ce qui me paraît une éternité, tout le monde finit par se séparer. Les gars de l'autre cité se barrent en gueulant des menaces, mais je les entends à peine. Je suis étourdi, les mains ensanglantées. Malik s'approche de moi, un sourire en coin, mais je vois qu'il est amoché aussi.

« C'était chaud, hein ? » Il rigole, mais moi, j'ai pas le cœur à rire.

Je me redresse tant bien que mal, en essuyant le sang sur mon visage. La douleur commence à se faire sentir, et tout ce que je ressens, c'est un énorme vide.

Cette vie-là, ces bagarres, ces plans foireux... Je commence à en avoir marre. J'ai plus envie de jouer les caïds, de me retrouver dans ce genre de situation. Tout ce que je veux, c'est la retrouver, elle, et me barrer loin de cette merde.

Malik me regarde, l'air de rien, mais je vois bien qu'il capte que quelque chose cloche. « T'es sûr que ça va, frérot ? T'as pas l'air bien. »

« Ouais, t'inquiète, » je lâche, en essayant de cacher le dégoût qui me bouffe. Mais au fond, je sais que c'est plus fort que moi. J'ai l'impression de creuser un trou sans fond, de m'enfoncer dans un truc qui va jamais me laisser sortir.

Je monte dans ma voiture, le visage endolori et le cœur lourd. Je sais qu'il faut que je fasse un choix. Soit je continue dans cette vie, avec les coups, les embrouilles, les galères... soit je trouve un moyen de me sortir de là. De m'échapper, pour elle, pour moi. Ce soir-là, alors que je conduis lentement dans les rues sombres de la cité, je décide que je vais tout faire pour changer. Pour la retrouver, et lui montrer que je suis plus que ce gars paumé dans des histoires qui n'ont plus de sens.



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De voleur à loveur Où les histoires vivent. Découvrez maintenant