60-Lui

5 0 0
                                    

C'est le dernier jour du casting, et je suis épuisé, autant physiquement que mentalement. Delly s'agite déjà dans tous les sens, jonglant entre les dossiers et ses pensées. Elle est persuadée que Claire est la meilleure option qu'il soit. Moi, je trouve cette fille insupportable. Chaque geste qu'elle fait semble être une tentative désespérée d'attirer mon attention et ça m'agace. Cette obsession qu'elle a pour moi est palpable, quasi envahissante. Ses sourires, ses regards appuyés... Tout chez elle me donne envie de fuir, mais je ne peux pas. Du moins, pas encore.

Dans cette immense salle de danse, entouré de miroir, je me sens pour la première fois depuis longtemps pris dans un étau dans lequel je n'arrive pas à me sortir. C'est comme si j'étais enchaîné aux chevilles, ne pouvant me délester de ce poids qui entrave mes mouvements, mais aussi mes choix.

Essayant d'oublier tout ce remue-ménage qui embrouille ma tête, je bois une longue gorgée d'eau avant que mes yeux ne rencontrent malencontreusement ceux de Claire.

Celle-ci, toute guillerette, est en train de forcer sur le rouge à lèvres tout en me fixant, d'un air aguicheur.

Comment Diable vais-je m'en sortir avec elle pendant les trois minutes de ce mambo que nous allons partager ?

Quand la musique commence, chacun de nous deux sommes en place. Claire retient plutôt bien la chorégraphie, mais quand vient le moment où nous devons nous rapprocher, je me maudis d'avoir imaginé cette danse en n'ayant pensé qu'à Riva.

Son souffle est proche, trop proche de moi. Vient l'instant où nous devons nous tenir par les hanches pour une séquence où nos corps s'effleurent, se croisent puis s'éloignent. Je sens la tension dans ses muscles, la volonté de bien faire, mais je n'arrive pas à m'y perdre, à me laisser porter.

Lorsqu'arrive la partie où je dois la soulever, je le fais sans un mot. Elle est légère, certes, mais il y a une rigidité dans son corps qui ne devrait pas être présent. C'est une tension qui brise l'illusion de fluidité que cette danse devrait avoir. En la déposant sur le parquet, je m'éloigne rapidement, cherchant un peu d'air, alors que cette dernière continue à danser, son regard ne me lâchant pas d'une semelle.

Je suis au bord de la crise de nerf. Mes émotions sont à l'antipode de ce qu'elles devraient être après avoir effectué une telle performance.

La musique s'éteint enfin, et avec elle, mon supplice. Claire me sourit, grand, radieux, comme si elle pensait déjà avoir gagné.

De mon côté, je détourne les yeux et cherche Delly du regard. Elle applaudit avec entrain, satisfaite de sa petite protégée, tandis que je n'ai qu'une envie : passer à autre chose et danser avec Riva. Parce qu'elle, au moins, ne danse pas pour me plaire, mais pour le plaisir.

Je reprends mon souffle alors que Claire quitte enfin le parquet pour s'asseoir auprès de ma manageuse.

Riva prend place à son tour, calme et sereine. Son regard est concentré, détaché, même si je sais qu'au fond d'elle, le stresse la dévore de toute part. Celle-ci ne cherche pas mon approbation, elle n'a pas besoin de me plaire. Elle est là pour une seule chose : la danse et la réussite.

La musique recommence, un rythme plus sombre, plus profond, comme une pulsation lente dans un cœur débute entre nous. Dès que Riva bouge, je ressens et remarque la différence. Son corps n'est pas en quête d'attention, il raconte quelque chose, une histoire dont elle seule connaît les secrets et les détails. Ses gestes, amples et pourtant précis, sont comme une extension de l'espace autour d'elle. Elle n'essaie pas de forcer l'harmonie entre nous, elle la laisse venir naturellement, et moi, je me laisse enfin emporter et transcender par l'instant présent.

Quand nous nous approchons de l'un et de l'autre, je sens la connexion sans avoir besoin de la chercher, ni même de la créer à tout prix. Nos mouvements s'entrelacent sans effort, comme si la chorégraphie existait déjà entre nous, attendant simplement d'être révélée. Chaque fois que je la frôle, je perçois la maîtrise dans chacun de ses muscles, la conscience totale de son propre corps. Il n'y a pas de fausse séduction, juste une communion sincère avec la musique, mais aussi ce lien invisible qui persiste entre nous depuis des jours.

Nous arrivons à un moment critique, un porté complexe que nous avons répété plusieurs fois. Claire a été maladroite en l'effectuant, alors je crains que ce ne soit la même chose pour Riva, car cette fois, je sens quelque chose de différent.

Lorsque je la soulève, c'est comme si elle ne pesait rien, et pourtant, il y a une solidité dans son mouvement, une confiance qui me rassure. Ses jambes se déploient, dessinant une forme parfaite dans l'air, avant de revenir vers moi avec une douceur contrôlée. Riva est telle un oiseau s'envolant dans les airs.

Ses yeux restent focalisés devant elle, absorbés par la danse, par cette conversation silencieuse entre nos corps. Elle ne me regarde jamais directement, et pourtant, je me sens remarqué, vraiment remarqué pour ce que je suis en tant que danseur et non pas pour ce que je représente. C'est puissant. Je me perds dans cette sensation, dans cette légèreté qui nous porte tous les deux, presque comme si la musique elle-même coulait à travers nous.

La fin approche, une séquence de tours où nos corps se rapprochent puis se détachent en un dernier échange d'énergie. Je la sens près de moi, je sens son souffle qui s'accorde au mien, et puis elle s'éloigne, toujours aussi gracieuse, son dos droit, son visage s'étend. C'est presque comme si elle s'effaçait doucement, nous laissant seuls avec l'écho de la musique.

La dernière note résonne, et Riva s'immobilise, parfaitement alignée avec le silence qui convient. Mon cœur bat fort, mais d'une manière apaisée, comme après avoir traversé une tempête et atteint enfin le calme de la mer.

Riva se tourne vers moi, mais sans excès. Il n'y a aucun sourire calculé, aucune attente dans son regard. Juste la satisfaction d'avoir dansé. Elle sait ce qu'elle vaut, elle sait ce qu'elle a donné. Tout comme je suis certain de ce qu'elle peut m'apporter dans l'avenir.

Avec cette danse et nos yeux ancré, j'en aurais presque oublié l'objet de notre présence ici, oublié ceux qui nous entourent et nous observent d'un mauvais oeil.

Malheureusement, ce délicieux silence est interrompu par les quelques applaudissements de Delly. Des applaudissements lent et saccadé, comme si elle agissait malgré elle.

De mon côté, je ne dis pas un mot. Je n'ai pas besoin de commencer ce qu'il vient de se passer entre Riva et moi. J'ai prit ma décision.

Ce sera mon choix.

Le mien.

Tout est déjà clair comme de l'eau de roche depuis plusieurs jours déjà.

Alors pourquoi diable ai-je tant hésité ces dernières heures ?

Let's Dance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant