Let's Dance

65- Lui

Je suis plus que frustré. Nous aurions pu prendre du bon temps suite à la fin du casting et au fait que Riva soit enfin la danseuse qui m'est destinée, or, c'est tout le contraire et c'est ça qui me met sur les nerfs.

Quand nous sommes rentrés, j'étais tellement au bout du rouleau que j'ai à peine prête attention à ce que pouvais bien ressentir Riva.

À présent seul dans la cuisine, tandis que cette dernière se trouve je ne sais où, je me rends compte de mon énième erreur. Décidément, j'aurais dû rester dans mon lit ce matin, car ce n'est vraiment pas ma journée !

J'en soupire d'ennuis ! La tête appuyée contre la paume de ma main, je me demande ce que je pourrais bien faire en attendais que ma partenaire sorte de sa caverne.

Le pire, c'est que je ne comprends pas pourquoi il y a une si mauvaise ambiance. Je l'admets, je me suis un tantinet mal comporté aujourd'hui, mais de là à s'ignorer...

Le pire dans tout ça, c'est que je remarque que j'ai vite pris l'habitude de vivre avec cette femme. Ma cuisine, ouverte sur mon salon, me semble bien trop spacieuse pour moi. Quelque chose manque, du moins, quelqu'un.

Comment je faisais lorsque je vivais tout seul dans cette immense villa ?

Isolé, comme une âme en peine, je m'affaire afin de m'occuper pour cesser de cogiter.

Je ne saurais pas dire depuis combien de temps de me suis mit à cuisiner lorsque Riva montre enfin pour le bout de son nez.

Ravi de la voir enfin, je suis néanmoins retenu face à ses traits peu chaleureux. Je n'ai jamais eu l'occasion d'apercevoir Riva avec ce genre d'expression, elle qui est toujours positive, bien que toujours anxieuse. Devant moi, l'îlot central nous séparant, elle s'assoit avec lourdeur sur une des chaises hautes, lâchant un soupir las.

Comme un gamin ayant fait une grosse bêtise, je ne sais pas comment m'y prendre afin de briser ce calme horripilant.

– Tu as faim ? Demandé-je avec incertitude. J'ai cuisiné un Kesäkeitto*, c'est un plat finlandais.

Même si je ne m'attendais pas à une explosion de joie, sa réaction me serre le cœur. Elle se contente de me jauger et finit par détourner son regard.

Qu'est-ce que je suis censé faire maintenant ?

Je décide donc de ne pas prêter attention et de continuer dans mon élan, bien que cela sois compliqué. Peut-être se détendra-t-elle au bout d'un moment ?

La table prête et le repas chaud, je la sers, de même pour moi.

Jusqu'à ce que je l'invite sous mon toit, cela ne me causait aucun problème à manger seul, dans le silence le plus total. À présent, ça m'irrite profondément. De l'avoir à mes côtés et de supporter une telle ambiance m'agace au plus haut point, mais je tente de ne pas le montrer.

Après tout, c'est moi le fautif...

Cependant, je suis loin d'être accoutumé à devoir me rattraper ou à m'excuser envers une personne.

– Tu ne manges pas ?

C'est tellement difficile de se contenir quand une situation est exaspérante à cause de son propre méfait.

– Riva ?

J'essaye comme je peux d'attirer son attention, mais celle-ci est comme happée dans un autre monde. Elle ne m'accorde aucun regard et nul son ne sort d'entre ses lèvres.

Flapi, je laisse retomber mon couteau ainsi que ma fourchette, mes yeux toujours braqués sur Riva.

– Tu comptes bouder encore longtemps ?

Peu importe ce que je dirais, je pense que je suis parti pour passer une soirée dans le mutisme le plus complet.

– Dé... Je suis désolé, si je t'ai blessé, soupiré-je avec embarras, ce n'était pas mon intention.

Quelle honte ! Je me sens si faible et pourtant, je me devais de faire ce premier pas. Tout a commencé suite à ma bourde, c'est moi qui l'ai plongé dans mes galères avec Delly, qui a retourné ma veste avant de la remettre à l'endroit.

– Je suis entièrement fautif, je ne m'attendais toutefois pas à ce que ça t'atteigne autant.

– Ça n'a rien à voir, murmure-t-elle enfin, me redonnant espoir.

– Je ne comprends pas ?

Quand ses yeux retrouvent les miens, ils m'ont l'air vide de toute émotion. Ne me dites pas...

– Riva... ne me lâche pas.

Mon cœur s'emballe, je commence à avoir chaud au point que mon pull est de trop. Je ne connais pas encore entièrement Riva, mais j'ai assez passer de temps avec elle pour savoir qu'elle peut prendre une décision irréfléchie. Si elle pense qu'elle ne mérite pas la place qui lui a été accordé, je crains pour la suite de cette discussion.

N'ayant aucune réaction de sa part, je reprends alarmé :

– Ne me laisse pas tomber, Riva. Ne prend pas de décision que tu pourrais regretter par la suite.

– Et toi, Dohän ?

Désarçonné, je la fixe hagard, ne sachant pas ce qu'elle sous-entend.

– Tu aurais regretté ton choix ? Celui de ne pas me choisir, j'entends ?

Au pied du mur, je déglutis péniblement. Je suis si risible en cet instant...

– Je l'ai regretté à la seconde d'après, Riva. Je regrette encore d'avoir pu penser à donner ta place à quelqu'un d'autre.

– Ce n'est pas ça qui m'a peiné, s'explique-t-elle enfin, j'ai pensé que tu ne m'avais pas choisi parce que tu avais pris conscience que je ne serais jamais à la hauteur de tes exigences. Que tu avais enfin repris tes esprits. Que je n'étais qu'une fille parmi tant d'autre, insignifiante, nulle, et facilement oubliable.

Ses mots sont comme un coup de poignard. Ils m'atteignent comme jamais rien ne m'a atteint auparavant, c'est une sensation ineffable qui me déstabilise plus que je ne voudrais l'admettre.

Il m'est impossible et inconcevable qu'elle puisse penser cela une minute de plus. Je me retrouve à ses côtés en une fraction de seconde, mes mains posées sur ses joues rosies par la surprise.

– Enlève-toi ses idées saugrenues de la tête, c'est n'est absolument pas ce que j'ai pensé de toi, Riva. Pas le moins du monde ! Tu es loin d'être insignifiante pour moi, et encore moins nulle et oubliable. Ne redis jamais ça, tu m'entends ? Je n'ai jamais rencontré une femme aussi talentueuse, tu as un avenir prometteur qui t'attend, crois-moi. Je veux t'aider à y parvenir, je veux être avec toi dans bon nombre d'obstacles que tu traverseras. Ne te base pas sur un fichu doute qui m'a affaibli l'espace de quelques heures. Riva, je ferais tout pour toi, tu comprends ? Je ne vois pas ma vie sans toi. Que ce soit en tant que danseuse ou en tant que femme.

Comment lui dire qu'elle est tout ce qui me motive à me lever le matin ? Qu'elle a réveillé en moi l'homme qui rêvait secrètement de trouver l'amour de sa vie ? La laisser me filer entre les doigts serait un coup de massue duquel je ne me relèverai pas !

Kesäkeitto : soupe au lait dans laquelle on mélange tous les légumes disponibles en été, pommes de terre, carottes, oignons, épinards et pois.