63-Lui

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Delly ayant quitté la salle sans dire un mot de plus, je me retrouve face à face avec Riva, qui est à présent officiellement ma danseuse attitrée.

Je ne m'en rends pas tout à fait compte, car durant plusieurs jours nous nous sommes fréquenté comme tel. Je n'ai pas l'impression que les choses ont changé depuis cette annonce, pourtant, c'est bel et bien ce qu'il se passe.

Mes yeux ancrés aux siens, je ressens une sorte d'excitation quant à notre avenir professionnel ensemble. Dans moins d'un mois, je vais concourir à une émission avec Riva. Ce sera bien réel et cela sera la concrétisation de ce parcours semé d'embûches, pour elle comme pour moi.

C'est dingue ! Je n'arrive toujours pas à y croire. Il y a encore dix minutes, j'avais concédé à accorder le bénéfice du doute à Delly et j'avais accepté Claire comme partenaire. Comment ai-je pu faire ça ? Comment Riva l'aurait pris ? Tout se serait brisé entre nous deux et ceci aurait été entièrement de ma faute.

Je lui ai fait croire que j'étais à ses côtés, j'aurais tout fait pour lui donner confiance en elle et en sa danse et sa spontanéité, et pourtant, je l'aurais trahi aussi aisément et en si peu de temps. Quel imbécile ! C'est une décision que Riva ne doit absolument pas savoir. Si elle l'apprend, c'est certain qu'elle m'en voudra et je la comprendrais.

Le silence est à la fois pesant et gênant dans cette pièce. Je suis toujours assis derrière ma table tandis que Riva se tient toujours devant moi, droite comme un I.

Ni elle, ni moi ne parlons. Cependant, nous nous lorgnons en chien de faïence, comme si nous étions deux inconnus. Est-ce qu'elle a des doutes sur moi ? J'en ai le cœur qui palpite, ça m'angoisse rien qu'en y pensant.

- Félicitations, lancé-je fébrilement, la goutte au front.

Cette dernière me sourit, mais je sens que quelque chose cloche. Ce sourire ne respire pas le bonheur, bien au contraire, elle semble accablée.

- Riva...

N'y tenant plus, je me lève et me dirige vers elle. Le simple fait de m'imaginer l'enlacer me fait oublier cet amas de culpabilité qui me ronge l'esprit.

La main tendue, je vais pour attraper la sienne quand celle-ci recule d'un pas. Penaud, je la fixe sans comprendre dans un premier temps, mais la réalité est là. Elle sait tout. Elle a compris ce qu'il s'est passé quand elle et Claire nous faisaient face.

Comment rattraper le coup ? Je ne sais absolument pas m'y prendre dans ces cas-là. Devrais-je lui expliquer, là, maintenant ? Ou feindre l'ignorance ?

- Tu dois te sentir déboussolée par la nouvelle, je présume, bafouillé-je comme un idiot, et si on fêtait ça ?

À la place des mots que j'aurais voulu entendre sortir d'entre ses lèvres, Riva m'observe d'un œil perçant, mais triste.

- Depuis ce matin, je m'attendais à ce que vous ne me choisissiez pas.

- Dans ce cas, tu t'es fourvoyé...

- Non, me coupe-t-elle d'un ton tranchant, j'avais raison. Tes mots, avant notre danse, parlaient d'eux-mêmes. Je ne devrais pas tomber d'aussi haut, parce que tu m'avais prévenu. Je savais que je n'étais pas à la hauteur contrairement à Claire. Alors pourquoi avoir fait marche arrière ? Pourquoi avoir supplié Delly au tout dernier moment, sous mes yeux et ceux de Claire ?

- Je...

Que répondre à ça ? Je me suis embourbé tout seul dans cette situation, alors je lui dois au moins des explications.

- Dohän, tu m'as choisi par dépit ?

- Pardon ? M'exclamé-je, outré. Non, pas du tout ! Comment peux-tu penser ça ?

- Tout simplement parce que tu détestais Claire.

- Non ! Enfin si, tu as raison, mais ce n'est pas pour ça. Écoute, et si on rentrait pour en parler au calme ?

- Nous sommes tout seul, Dohän. Où veux-tu être plus au calme qu'ici ? Je ne tiens pas à ce que tu te défiles. Nous sommes à présent voués à travailler ensemble pour un certain temps, il me semble bon que tu sois honnête dès maintenant.

J'ai les joues en feu, les mains moites. Mais pourquoi diable, je me sens aussi nerveux !

- Pour être sincère avec toi, j'ai certes eu un moment d'hésitation qui a fait que Delly a eu gain de cause. J'ai trébuché sur le fait que tu n'es qu'une débutante en danse de salon et pas d'expérience du tout en ce qui concerne les concours face à un futur public. Tu stressais rien que pour ce casting, je n'imaginais pas ce qui pourrait advenir si tu te retrouvais face à un plus vaste jury et des centaines, voire des milliers de personnes qui scruteront tes moindres faits et gestes.

Mon explication est peut-être difficile à comprendre et à digérer, mais ce n'est qu'à cause de ce détail en apparence insignifiant que j'ai cédé à ma manageuse. Or, ce détail est finalement très important.

- J'ai changé d'avis au dernier instant, c'est vrai, parce qu'en te voyant devant moi, avec cette persévérance qui ne te quitte jamais, je me suis rendu compte de ma maladresse...

- Ce n'est pas une maladresse.

- Non, tu as raison. C'est même une connerie, admis-je en détournant mon regard, je ne suis pas fière de moi, Riva. J'ai tout donné pour t'amener jusqu'au bout...

- Je n'avais rien demandé, me coupe-t-elle une fois de plus.

- Je n'ai pas dit le contraire. C'était ma décision, j'ai profité de mon statut pour ça et si j'avais à le refaire, je le ferais de nouveau. Parce que c'est toi que je veux, Riva. C'est toi que j'ai toujours voulu.

- Alors pourquoi...

- Parce que je ne tenais pas à te plonger du jour au lendemain dans un monde qui m'a moi-même brisé !

Ma voix résonne dans cette salle vide, elle résonne comme un hurlement de détresse et de sincérité. Je ne souhaite pas à ce qu'elle se sente persécutée par ce monde sans foi ni loi.

- J'en ai fait les frais, Riva et je jure que je ne souhaite pas ça même à mon pire ennemie. Mon choix était certes égoïste, mais je t'assure que j'ai surtout pensé à ton bien.

Comme un crétin, me voilà face à une femme qui fait ressortir en moi ce que je déteste au plus haut point. Une faiblesse que j'avais sue maîtriser jusque-là et que Riva fait ressortir au grand jour bien malgré moi.

Je ne sais pas encore comment nommer cette émotion, mais cela fait bien longtemps que je n'avais pas goûté à ce sentiment.

Un sentiment qui me rend faible, c'est sûr, mais qui me fait de nouveau sentir humain.

Comment aurais-je pu me séparer d'elle avec tant d'aisance ?

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