Chapitre 1

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« Petit accident domestique. »

J'observe avec consternation le petit sourire en coin de ma grand-mère, le poignet dans le plâtre. Je fixe l'écran de mon téléphone sans savoir comment réagir. La photo est loin d'être alarmante puisqu'elle a l'air en bonne santé et que je reconnais son buffet en bois en arrière-plan. Elle est donc chez elle et non à l'hôpital. Je souffle un bon coup, reprends mes esprits et compose son numéro.

– Bonjour, ma chérie, comment vas-tu ? me demande-t-elle l'air de rien.

– Mamie, c'est quoi cette photo ?

– L'infirmière a insisté pour que je te prévienne.

– L'infirmière ? Mais... que t'est-il arrivé bon sang ?

Ma voix monte dans les aigus, bien malgré moi. Perdre ma grand-mère est une peur viscérale qui ne me quitte jamais. Je vis avec au quotidien tout en ayant conscience que notre temps de vie à deux est compté.

– Je suis tombée.

– Dans ta baignoire ? Je t'avais dit d'acheter un tapis de bain. Tu pourrais glisser, te cogner la tête et te noyer !

– Tu m'as prise pour Claude François ? J'ai trébuché en descendant les escaliers. Le chat s'est faufilé entre mes jambes.

– Cloclo est mort électrocuté.

– Qui est mort noyé alors ?

– Personne de ma connaissance.

– Je ne prends de toute façon jamais de bain.

– Problème résolu. J'arrive demain.

– Tu as des vacances ?

– Mamie, insisté-je, comment comptes-tu faire tes courses, la cuisine et te savonner le dos ?

– Qui se savonne le dos de nos jours ?

– Je viens demain à la première heure et avec les croissants.

– Et des pains au chocolat ?

– Et des pains du chocolat.

– Merci, ma chérie. Je t'embrasse fort.

– Moi aussi, mamie.

Je raccroche en secouant la tête de dépit. Mamie Geneviève aime son indépendance et refuse d'être traitée comme une personne âgée. Elle ne se rend pas compte du temps qui file et de la fragilité de son corps qui atteint lentement les 80 années d'existence. C'est une vraie tête de mule pourtant remplie de bienveillance et de douceur. Un paradoxe qui fait d'elle une femme unique en son genre.

J'observe l'horizon par la fenêtre de mon bureau. Je travaille dans un haut building qui me permet d'avoir une vue imprenable sur la ville de Florembourg et ses habitants. Ma journée est bientôt terminée, le soleil décline dans le lointain, offrant une lumière douce et orangée, à l'instar de la saison automnale qui nous assaille.

Je place les derniers dossiers dans le tiroir, range mon bureau, éteins mon ordinateur et m'empare de ma veste suspendue au porte-manteau. Mon espace n'est pas bien grand, mais il est cosy et décoré à mon gout. En tant que secrétaire de direction, j'ai le privilège de pouvoir agrémenter mon lieu de travail à ma guise. Et j'y prends beaucoup de plaisir. Au sens propre comme au sens figuré, car le directeur me rend très fréquemment des visites « absolument pas catholiques », comme dirait mamie. Je passe la tête dans le couloir vide de l'agence de marketing. Personne. Il est bientôt 19h et la majorité du personnel est rentré chez lui en prévision du week-end.

Amour, fous rires et quiproquosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant