Chapitre 11 : Le bombardement

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Charlotte ressortait du recensement avec un soulagement évident. Les fonctionnaires avaient décrété qu'elle n'était pas apte à se rendre sur le champ de bataille. Trop frêle, sûrement dépressive, et à la santé douteuse, elle ne faisait pas partie de la première vague. Mais ce n'était qu'une question de temps.

Elle retourna d'abord dans le chapiteau des femmes, et elle alla s'allonger sur son lit défait. Elle n'avait jamais aimé cette corvée des draps à border qu'elle trouvait inutile. Au comble de l'anxiété, elle sortit ses photos et son petit cœur de son sac pour tenter de s'apaiser.

Incapable d'attendre plus longtemps, elle fourra les photographies et le morceau de métal dans sa poche, et elle se rua en direction du camp des hommes. Elle avait besoin de savoir. Elle courait à en perdre haleine, les yeux embués de larmes, fouettée par le vent froid de l'hiver. Une fois au pied de l'énorme chapiteau, un grand militaire lui barra l'entrée.

— Les femmes n'ont rien à faire ici. Il y a suffisamment de lieux communs pour vous rencontrer sans avoir à pénétrer dans la partie non mixte.

— J'ai besoin de voir mon père, s'il vous plaît, je veux savoir s'il doit partir ou non. Il est vieux, fatigué, déprimé, il ne fera pas un bon soldat. Je vous en supplie, laissez-moi le voir.

— Attendez qu'il se manifeste de lui-même.

Folle de rage et de panique, Charlotte tapa du pied au sol, les poings serrés, la mâchoire contractée dans un râle énervé. Si la situation n'avait pas été aussi tragique, son attitude en aurait été comique.

Deux hommes sortirent du chapiteau. Directement intrigués par la scène jouée devant eux, ils furent alpagués par la jeune femme en détresse qui se rua dans leur direction.

— S'il vous plaît, supplia-t-elle, je cherche mon père aidez-moi. J'aimerais savoir s'il sera enrôlé ou pas. Il vieillit et est fatigué, il s'appelle...

— Doucement, doucement, la coupa l'un des hommes avec distance. Eh mais ! C'est la petite lapine de tout à l'heure !

Charlotte se recula, tenta de retrouver ses esprits, et se rappela. Elle se trouvait face à l'homme au lapereau, et son compère. Le grand brun la fixa, jugeant complètement le pathétisme qu'elle affichait.

— J'ai besoin de savoir pour mon père... tenta une nouvelle fois Charlotte avec un air interrogateur embué de larmes.

— Il n'y a plus personne sous le chapiteau, lui répondit le brun au lapereau. Seuls les invalides y ont encore accès. Ton père en est un ?

— Non, il est valide, mais fatigué et vieillissant. Où peut-il être ?

— Avec les autres, parti au camp d'entraînement.

— Non non non non non, se mit-elle à répéter en boucle. C'est impossible, c'est un cauchemar.

— C'est la guerre, lui répondit-il laconiquement.

L'homme, toujours suivi de son compère moqueur, se décala pour continuer à avancer. Loin de lâcher l'affaire, Charlotte marcha à ses côtés. Il lui était difficile de suivre avec ses petites jambes les grandes foulées imposées par les deux individus.

— Et vous, lâcha-t-elle. Qu'est-ce que vous faites encore dans le chapiteau ? Vous avez été recensé, vous devriez être partis avec les autres. Vous moquez-vous de moi ?

L'homme au lapereau ne répondit pas. Il se contenta d'afficher un sourire en coin. C'est son compère, un grand blond bedonnant et au nez épais, qui répondit :

— Tu es trop curieuse, tu poses trop de questions. Retourne jouer dans ton bac à sable.

— Ne me manquez pas de respect ! Je cherche mon père, c'est tout.

Le Renard et la LapineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant