Les Maux, les Remèdes et la Foi

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          À mesure que les secrets de ma famille se dévoilaient, Mamie Fidélia prenait une place centrale dans ma vie. Elle était mon pilier, une source de douceur et de compréhension qui m'apportait une légèreté inédite. Grâce à elle, j'apprenais à faire la paix avec mon passé, sans la peur d'être jugée. Contrairement à tant d'autres, elle ne me collait pas l'étiquette d'enfant illégitime née d'une relation interdite. Dans ses yeux, il n'y avait que de l'empathie, un amour inconditionnel qui m'aidait à panser les blessures laissées par l'indifférence des autres.
          Petit à petit, les souffrances liées au regard des autres s'effaçaient. L'attention que me portait Mamie était un bouclier contre les jugements et les murmures. Je commençais à retrouver ma liberté intérieure, me sentant enfin comme une jeune fille "normale", capable de sourire et de communiquer plus naturellement avec les autres.
          Je me souviens d'un jour où je lui confiai que je ne me trouvais pas belle, à cause de cette expression trop dure que l'on m'attribuait. On me demandait constamment pourquoi j'étais en colère ou si j'étais fâchée. Alors qu'il n'en était rien. Avec une douceur infinie, elle me répondit : "Souris dès que tu te réveilles. Chaque matin. Si tu commences la journée avec un sourire, tu te sentiras légère et rayonnante toute la journée." Ce conseil simple avait un impact surprenant. Il existe des vérités dans la vie, si essentielles qu'on oublie souvent, et Mamie me les rappelait constamment, m'enseignant que le bonheur n'est pas une quête lointaine, mais un état d'esprit que l'on peut cultiver.

          Cependant, la vie m'a rapidement enseigné que rien n'est éternel. Alors que je commençais à me réconcilier avec mes origines, la santé de ma grand-mère se dégradait. Sa perte de vue, perçue comme un maléfice lancé par des jaloux, commençait à peser lourdement sur notre famille. À cette époque — et peut-être encore aujourd'hui —, la médecine traditionnelle et les croyances populaires, qui relèvent parfois de la superstition, avaient souvent plus de poids que la médecine moderne. Lorsque les guérisseurs échouaient à traiter un malade, la cause était rapidement attribuée à un envoûtement.
Personne ne semblait comprendre pourquoi la vue de Mamie s'estompait de manière si inattendue. Ce qui était troublant, c'était la nature de sa perte de vision. Elle voyait tout en blanc, capable de distinguer les couleurs vives et les silhouettes, mais ne pouvait plus identifier les formes ou les objets. Nos croyances étaient si limitées qu'elles ne laissaient aucune place à d'autres explications. Même l'avis de l'ophtalmologue, qui parlait de cataracte, était ignoré.
          Convaincue qu'il s'agissait d'un mauvais sort, Mamie consacrait beaucoup de temps à consulter des pasteurs, des marabouts, et à assister à des messes de guérison. Elle se faisait bénir de l'eau par des prêtres, utilisant ce liquide sacré pour se laver le visage. Nous parcourions les bois à la recherche de plantes qualifiées de sacrées, et les guérisseurs récitaient leurs incantations. Mamie utilisait ces herbes de diverses manières : elle les consommait, les ajoutait à son bain, ou appliquait des gouttes sur ses yeux, tout cela dans l'espoir de conjurer le mauvais sort et de retrouver la vue.
          Pourtant, rien ne s'améliorait. Malgré les espoirs qu'elle entretenait, même après une séance chez le charlatan ou une messe de guérison, l'illusion d'un rétablissement ne durait jamais bien longtemps. Je me souviens de certains matins où, pleine d'enthousiasme, elle me disait qu'elle parvenait enfin à distinguer une forme ou un objet. À ces moments-là, je ressentais un immense soulagement pour elle. Avec le recul, je réalise à quel point notre esprit peut nous tromper. En s'accrochant aux promesses des marabouts, pasteurs et prêtres, elle créait cette illusion de voir sa vue s'améliorer.
          Cette capacité de notre cerveau à nous faire croire ce que nous souhaitons croire peut être à la fois réconfortante et cruelle. Mamie a ainsi vécu, en s'accrochant à l'espoir, jusqu'à la fin. Même si ce n'était qu'un mirage, cela lui a permis de traverser les épreuves avec un peu plus de légèreté. Elle s'accrochait à ces instants de clarté, faisant de chaque petite victoire une raison de sourire. Pour elle, l'espoir était devenu une forme de guérison, et même si la réalité était parfois accablante, sa foi en des jours meilleurs la portait.

Victime d'une injusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant