Pendant trois années, après avoir appris que Mamie était atteinte de diabète, nous avons surtout compté sur les remèdes traditionnels, car ils faisaient partie de nos habitudes familiales et culturelles, et rarement sur les soins médicaux modernes. Les solutions naturelles que nous connaissions étaient plus accessibles, mais surtout, elles représentaient un certain confort psychologique pour Mamie, qui se sentait ainsi plus proche de ses racines et de ses croyances.
Mamie respectait rigoureusement son nouveau régime alimentaire, bien que cela ait été un grand bouleversement pour elle au départ. Petit à petit, elle s'est adaptée, faisant de cette nouvelle routine une seconde nature. Son gros orteil avait subi des dommages irréversibles, et bien qu'il en restait à peine la moitié, le reste de son pied montrait des signes de guérison. Le processus était lent, mais nous nous accrochions à ces petites améliorations qui nous donnaient espoir. Cependant, son état de santé n'évoluait pas aussi positivement dans tous les aspects. Sa vue, en particulier, se dégradait irrémédiablement. Elle ne voyait plus que des éclats de lumière blanche, sans distinction de formes ou d'ombres. Parfois, elle croyait apercevoir un éclat de couleur vive qui la ravissait, mais nous savions tous que cela ne signifiait pas un retour de sa vision. Jour après jour, ses chances de revoir le monde tel qu'il est s'éloignaient.
Face à cette perte progressive, je suis devenu ses yeux. J'étais toujours à ses côtés, l'accompagnant partout où elle devait aller, veillant à ses déplacements. Nous étions devenus inséparables sauf quand je suis à l'école. Être ensembles, même dans ces circonstances difficiles, était devenu un plaisir partagé, un moment de complicité où nous n'avions plus besoin de mots pour nous comprendre. Notre relation avait évolué, passant d'une relation grand-mère-petite-fille à un lien d'une profondeur que peu de gens pouvaient imaginer.
Même si une aide ménagère et parfois certains voisins venaient prêter main forte pour prendre soin de Mamie, j'avais décidé de réorganiser mes journées en prenant des cours de l'après-midi, afin de pouvoir m'occuper d'elle chaque matin avant de partir. Je connaissais par cœur son rituel matinal et veillais à ce que tout soit prêt avant son réveil. Ses sandales étaient toujours bien placées à côté de son lit, prêtes à être enfilées. Je mettais de l'eau dans un récipient, posé sur la jarre devant la porte de sa chambre, pour qu'elle puisse se débarbouiller dans la cour dès qu'elle sortait du lit.Mamie refusait catégoriquement d'utiliser une canne pour se déplacer, qu'elle voyait comme un symbole de faiblesse qu'elle ne pouvait accepter. Au lieu de cela elle traînait doucement les pieds, s'appuyant contre les murs pour se guider. Chaque fois qu'on essayait de l'aider en lui prenant le bras, elle repoussait ce geste avec fermeté, affirmant qu'elle n'était pas infirme et qu'elle avait seulement perdu la vue. Cette attitude pouvait parfois agacer ma mère et ma tante Christine, qui ne cherchaient qu'à l'aider, mais moi, je voyais ça différemment.
J'aimais la taquiner en l'obligeant à s'accrocher à moi pour se déplacer, malgré ses tentatives de se dégager pour continuer seule. Je la tenais fermement, ce qui la mettait hors d'elle, elle pestait et s'énervait, et cela nous faisait beaucoup rire. Elle a vite compris que j'avais hérité de son caractère obstiné, et qu'il n'y aurait pas de victoire facile avec moi. Elle finissait toujours par se résigner, non sans soupirer d'agacement.
Ces moments d'opposition étaient pour moi plus qu'une simple taquinerie. Ils représentaient notre manière à nous de maintenir une proximité, une façon à moi de lui montrer que j'étais là pour elle. C'était comme une forme de déclaration silencieuse de notre amour réciproque, exprimée à travers ces échanges pleins de complicité. Nous n'avions pas besoin de mots tendres, car dans ces instants de légères provocations, tout était déjà dit.
Cependant, alors que nous nous étions peu à peu habitués à cette nouvelle normalité, la santé de Mamie connut un brusque revirement. Sans crier gare, son état se détériora rapidement. Nous qui pensions avoir trouvé une certaine stabilité, une routine, avons été complètement pris de court. Du jour au lendemain, elle se mit à ressentir des douleurs dans tout son corps, des maux inhabituels et plus aigus. Sa tension restait constamment élevée, et son énergie, déjà fragilisée, s'amenuisait davantage. Les signes d'amélioration, bien qu'ils aient toujours été lents, disparurent presque entièrement. C'était comme si tout ce que nous avions fait jusque-là ne suffisait plus. La fatigue qui la submergeait devenait impossible à ignorer, pesant sur ses gestes du quotidien.
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Victime d'une injustice
No FicciónJe repensai à ces moments de ma vie avec une profonde mélancolie, et des larmes silencieuses perlèrent sur mes joues. Chaque souvenir ramenait avec lui un flot d'émotions que j'avais tenté d'enfouir. Un soupir d'incertitude m'échappa alors que je me...