Chapitre 5 : Dénuée de sentiments

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"Serena ! Serena je t'en prie, ne m'abandonne pas ! Ne les laisse pas te faire disparaître..." je supplie avec ma voix de petite fille d'il y a deux ans.

Une petite fille en larmes, brisée, forcée de grandir trop vite, trop tôt...

"Excusez-moi...? Vous allez bien mademoiselle ?"

Toujours des cauchemars malgré le fait que mon esprit se joue de moi en leur donnant différentes formes ou issues...

"Mademoiselle ?"

J'entrouvre doucement les paupières, éblouie par la lumière de l'aube, mais juste assez pour apercevoir une femme penchée sur moi, tenant la main d'un petit garçon.

Je les fixe tous les deux sans répondre. L'air affamé, les cernes violacés juste en dessous de leurs yeux fatigués et leurs vêtements gris troués à plusieurs endroits. Cela ne fait aucun doute que ces personnes comptent parmi les plus démunis de notre société.

La femme se redresse en voyant que je me réveille et remet ses cheveux emmêlés en place derrière sa nuque. L'enfant me regarde l'air naïf avec de grands yeux étonnés tout en portant dans sa main restante un vieux carnet usé et trois crayons à peine taillés.

Je me relève toujours sans dire un mot, la gorge encore nouée par cette représentation de toute la pauvreté qui nous entoure. Pourtant, ils gardent la face. Ils n'ont pas l'air de s'apitoyer sur leur sort ou de souhaiter une vie meilleure, ils ont simplement l'air heureux d'être ensemble.

Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Je crois que j'admire leur positivité car je suis persuadée que je ne pourrai jamais l'avoir.

"C'est bon, ça va aller. Merci de vous en être souciée."

La femme me sourit en retour, faisant apparaitre une petite fossette au coin de sa bouche, lui rendant l'air encore plus douce.

"Tant mieux, je voulais juste m'assurer que tout allait bien. Vous n'avez pas idée de qui ou quoi vous auriez pu rencontrer dans ces rues, ce ne sont pas vraiment les meilleures à fréquenter."

Je la remercie du regard et les laisse s'éloigner tous les deux, main dans la main, en leur souhaitant silencieusement de jamais être séparés l'un de l'autre.

Durant quelques secondes, je m'imagine à leur place, mais avec ma mère, riant aux éclats, la démarche bondissante, en ne pensant pas à ce qui nous attend le lendemain. Je ne sais pas vraiment si c'est la relation que j'aimerais avoir aujourd'hui avec elle ou mon père mais je suis certaine que c'était l'état d'esprit que nous possédions tous dans notre famille lorsque Serena était encore là.

Soudain, je me remémore ma rencontre de la veille avec cet homme inconnu et son invitation à le revoir. Je ne suis pas encore persuadée de le retrouver à ce rendez-vous car d'un côté, j'ignore s'il représente un risque pour moi mais de l'autre, je suis certaine qu'il peut m'apporter des réponses à propos des circonstances de la mort de ma sœur.

Refoulant toutes ces pensées parasites, je cherche des yeux quelque chose qui me permettrait de vérifier à quoi je ressemble après une nuit passée dans la rue et je tombe alors nez à nez avec la fenêtre brisée d'une maison qui semble abandonnée. Je me rapproche de cette dernière, et, bien que je peine à me voir nettement à cause de la poussière, je parviens à remettre mes mèches rebelles en place en me donnant l'air serein de quelqu'un qui vient de passer une bonne nuit de sommeil au fond de son lit.

Une fois satisfaite du résultat, je me remets à marcher, essayant de mieux me repérer grâce à la lumière du jour. J'aperçois encore au loin la femme tenant son fils par la main et je décide de les suivre d'un pas rapide pour ne pas les perdre de vue. Ils se rendent sûrement dans notre école ou aux alentours, ce qui devrait me permettre d'y accéder.

Au nom de la LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant