Chapitre 2 : La création

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Je restais immobile, le souffle suspendu, comme si mon corps venait de se figer tout entier. La voix résonnait encore dans mon esprit, douce et claire, mais... étrangère. C'était celle d'une enfant, peut-être de douze ans, comme un murmure qui flottait dans l'air.

Je pivotai lentement sur moi-même, scrutant chaque coin du petit café, chaque ombre. Je cherchais un indice, une présence, quelqu'un qui aurait pu m'appeler.

- Qui est là ? soufflai-je d'une voix à peine audible.

Le silence me répondit, lourd et oppressant. Une sensation désagréable s'installait en moi, comme si quelque chose m'échappait complètement.

Je secouai la tête, essayant de me ressaisir. "Tu deviens folle," pensai-je pour moi-même. Mais une autre pensée, ou plutôt cette même voix, surgit :
"Pas folle. Juste seule."

J'avais besoin de sortir, et vite. La café devenait serré, comme si chaque personne dans la pièce me regardait, me fixait. Comme si tous entendaient ce murmure, que j'étais folle aux yeux de tous. Mon sac en main et mon manteau sur les épaules me poussaient vers la sortie afin d'encore une fois prendre l'air frais qui envahissait mes poumons, me libérant d'un poids qui ne faisait que s'alourdir. Le vent emportait mes cheveux, et cette voix loin de ma tête et de mes songes.

Je poussai la porte de mon appartement, balançant mes clés sur la petite table d'entrée, évidemment elles glissèrent trop loin et finirent au sol dans un fracas de cliquetis résonnant dans mes 20m² de liberté. Sans même retirer mes chaussures, je me laissai tomber sur le "canapé" clic-clac, vidée, le regard fixé sur un point invisible du plafond.

Une mélancolie tenace s'accrochait à moi depuis ce matin. J'avais cru qu'une fois chez moi, ce poids s'allégerait, mais il ne faisait que s'intensifier.

Je fermai les yeux et laissai échapper un long soupir. Peut-être que j'avais juste besoin de me reposer.
Mais la voix revint, douce et insistante, comme un murmure qui refusait de disparaître.

"Tu sais pourquoi tu te sens comme ça, n'est-ce pas ? Tu n'es rien sans elle. Ta vie... elle t'a tout donné. Elle t'a façonnée. Tu es sa création."

Je me redressai brusquement, secouant la tête pour chasser ces pensées s'incrustant dans mon esprit;

- Arrête, murmurai-je, presque sans m'en rendre compte.

Mais elle ne m'écouta pas.

"Tu te crois indépendante, mais regarde-toi. Tout ce que tu fais... tout ce que tu es... c'est grâce à elle. Ou à cause d'elle."

- Non. Ce n'est pas vrai, dis-je à voix basse, comme si ma propre voix pouvait recouvrir la sienne, faire face à sa ténacité.

Je me levai, un peu tremblante, et marchai jusqu'à la salle de bain. En allumant la lumière, j'aperçus mon reflet. Mon visage me parut étrange, totalement étranger. Mes traits semblaient fatigués, tirés. Je fixai mes yeux dans le miroir, cherchant... quelque chose, me cherchant moi.

- Ma vie m'appartient. Je fais mes propres choix maintenant, murmurai-je, mais ma voix sonnait creuse, même à mes propres oreilles, je ne me croyais même pas.

"Oh vraiment ?" répliqua la voix, moqueuse. "Et pourtant, chaque pas que tu fais semble encore résonner d'elle. C'est drôle, tu te mens même à toi-même maintenant."

Je serrai les poings, sentant mes ongles s'enfoncer dans mes paumes.

- Je n'ai pas besoin d'elle. J'ai le droit de vivre sans son ombre.

"Et pourtant, te voilà à débattre avec moi, dans ce miroir. Moi, je ne suis qu'une partie de toi... une partie qu'elle a créée."

Je sentis ma gorge se nouer, mes yeux s'embuer.

Celles et CeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant