Le temps n'a plus de forme ici, dans ce tourbillon de violence. Les ombres dévorent la lumière. J'ai oublié le nom que je portais avant, il ne reste plus que des rugissements et des griffes acérées. Tout autour de moi n'est que déchirement, éclats d'os, corps écrasés sous le poids de ma furie. Les bruits ne sont plus que des échos dans un vide infini, des voix éteintes par le grondement de ma faim.
Les hommes, ceux que je traque, ne sont plus que des fantômes, des proies offertes à ma volonté. Leurs cris résonnent dans mes oreilles comme des mélodies anciennes, mais ils ne font que nourrir l'urgence en moi, ce besoin de briser, de détruire. Leurs visages ne sont plus que des formes floues, des silhouettes de terreur qui se dissipent sous mes coups. Le sang... le sang est une mer chaude qui emplit ma gorge, une mer sans fin.
Je les ai trouvés dans les bois, ces malheureux, ces fuyards. Ils n'ont pas su fuir assez vite. Je les ai pris, un à un, les déchirant, les brisant comme des branches sèches. Une fois, deux fois, je m'attaque aux hommes, aux bêtes, sans distinction, comme un prédateur affamé. Je me sens grandir, grandir dans cette rage. L'homme en moi est loin, effacé, une lointaine mémoire. Il n'y a plus que moi, le loup, la bête, l'âme sans répit.
Un instant, dans cette folie, un écho d'Arthus – un murmure faible, comme une brise lointaine – me touche. Une pensée, un fragment de doute... Une lumière éteinte dans l'obscurité. Mais il est si lointain, si faible. Ce n'est pas moi. C'est lui. Et il s'efface à chaque nouvelle goutte de sang qui tombe, à chaque hurlement, à chaque empreinte de pas sanglants que je laisse derrière moi.
Je suis la bête. Je suis la nuit. Les ombres sont mes seules amies, et elles me mènent plus loin, plus profond dans cette danse sans fin. Les hommes, les créatures, tout ce qui vit, tout ce qui respire devient mon festin. Et la soif... la soif ne fait que croître. Le monde entier, désormais, n'est qu'un terrain de chasse. Il n'y a plus de repères. Plus de frontières. Juste le goût du sang, l'odeur de la peur qui m'aveugle et m'attise. Et ce cri dans la nuit... celui de l'âme humaine qui se brise sous mes griffes.
Je suis la fin. La fin de tout.
Vallombreux, le Sombreloup
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Les Chroniques de Castelmance, Tome 1 : L'Ombre du Loup
FantasíaDans un royaume déchu, Arthus de Vallombreux, chevalier solitaire, erre à la recherche d'un sens à sa vie après la chute de son roi. À travers les pages de son journal, il témoigne de ses luttes intérieures et de sa transformation brutale lors d'une...