Entrée n°26 - Le duel des âmes

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La forêt est silencieuse, mais mon esprit, lui, hurle.

Les mots de l'alpha résonnent encore en moi. Une promesse scellée, un prix à payer. Chaque pas que je fais dans cette nuit oppressante me semble imprégné de la gravité de ses paroles. Pourtant, quelque chose de nouveau commence à émerger dans cette obscurité. Une pensée étrangère, mais familière, lutte pour s'imposer.

Arthus.

Je sens sa présence, faible mais insistante. Une voix spectrale, prisonnière d'un écho lointain, qui tente de percer le voile de mes instincts bestiaux. Elle n'a pas la force d'un ordre, seulement le poids d'un souvenir.

« Que cherches-tu, sombre créature ? »

Ce ne sont pas mes mots. Ils viennent de cette part de moi que j'avais laissée derrière, celle que j'avais cru éteinte. Mais Arthus, cet homme d'honneur que j'ai été, n'a jamais cessé de regarder, de juger.

Je continue à avancer, ma silhouette massive se fondant dans les ombres mouvantes des arbres. Autour de moi, la forêt semble respirer, comme si elle attendait quelque chose.

Puis, je les vois de nouveau.

La meute.

Ils sont rassemblés près d'une rivière étroite, où l'eau reflète la lumière spectrale de la lune. Leurs formes oscillent entre l'humain et l'animal, un paradoxe vivant. Leurs gestes sont fluides, presque gracieux, mais les grondements gutturaux qu'ils échangent trahissent leur nature sauvage.

Le chef est là, imposant, ses yeux brillants comme des flammes. Il ne parle pas tout de suite. Il attend.

Je m'approche, plus par instinct que par choix. Le loup en moi ressent une étrange connexion avec ces êtres, un désir de les rejoindre, de plonger dans cette existence brute et sans compromis.

Mais quelque chose m'arrête.

Une pensée, non, une mémoire.

Je revois les tours de Castelmance. Les bannières déchirées flottant sous un ciel sombre. Les cris d'un roi trahi, et ma propre lame tremblante dans ma main ensanglantée. Je revois Maelric, ce conseiller aux mots doux et aux yeux froids, chuchotant dans l'ombre du trône.

« Ils ne sont pas ton monde. »

La voix d'Arthus est plus claire, mais elle reste un murmure dans le tumulte de ma conscience.

Le chef parle enfin.

— Tu marches sur un fil. Ton humanité te pèse, Arthus de Vallombreux, et pourtant tu refuses de t'en libérer. Pourquoi ?

Mon nom prononcé par cette voix rauque me frappe comme un coup. La bête en moi grogne, furieuse d'être mise à nu.

— Tu pourrais nous rejoindre, continuer notre œuvre. Nous, gardiens de ce sanctuaire. La lune te guiderait, et ton ancienne vie ne serait qu'un songe oublié.

Il s'avance, son ombre couvrant presque toute la clairière.

— Mais pour cela, tu dois renoncer à ce que tu étais. Tout. Ton nom, ton passé, tes questions inutiles.

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Le loup hurle son assentiment, avide de se fondre dans cette meute, d'abandonner les chaînes de l'humanité.

Mais une force s'élève en moi.

C'est Arthus, le chevalier.

Sa voix n'est plus un murmure. Elle est une flamme vacillante, mais bien réelle.

— Pas encore. Je ne renoncerai pas.

Le chef recule d'un pas, et son regard change. Ce n'est plus un défi qu'il me lance, mais une sorte de respect froid.

— Alors, continue ta quête, homme-loup. Mais sache que ton choix viendra, et ce soir, tu ne trouveras pas de repos.

La meute disparaît dans les bois, se fondant dans l'obscurité comme si elle n'avait jamais existé.

Je reste seul, à genoux près de la rivière, entre deux mondes. Le loup en moi rugit de frustration, tandis qu'Arthus murmure encore, obstiné.

La lune glisse derrière un nuage, et je me relève, un pied dans l'ombre, l'autre dans la lumière.

Arthus de Vallombreux

Les Chroniques de Castelmance, Tome 1 : L'Ombre du LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant