CHAPITRE III

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HAÏR LES TRANSPORTS PARISIENS NE VOUS FERA PAS ARRIVER PLUS VITE

Cher journal,
Y a-t-il une limite au nombre de catastrophes qu'on peut accumuler avant huit heures du matin? Si oui, je crois que je l'ai pulvérisé aujourd'hui. C'est soit ça, soit l'univers tente désespérément de me dire quelque chose du genre : « rends-toi directement, ça ne vaut pas le coup ».

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Quelle était la probabilité qu'un malaise voyageur se produise précisément ce matin, sur ma ligne de métro ? En vivant à Paris, je dirais un bon trente pour cent. Maintenant, quelle était la probabilité que mon métro soit bloqué entre deux stations sans possibilité d'en sortir pour attraper un bus, un vélo, un Uber ou encore un hélicoptère ? Proche du zéro ! Alors pourquoi de tous les jours depuis mon embauche fallait-il que cela arrive aujourd'hui, le seul jour où je ne pouvais absolument pas me permettre d'être en retard ?

J'avais pourtant mis toutes les chances de mon côté. Couchée tôt pour un réveil optimal, tenue impeccable préparée la veille, et même sortie avec trente minutes d'avance sur l'heure suggérée par Citymapper. Le plan était béton ! Mais à vingt minutes de mon lieu de travail, je suis en train de réaliser l'exploit d'être en retard le jour où je devais être irréprochable. Un enfer!

— Mesdames et messieurs, la reprise du trafic est estimée à sept heures. Pour votre sécurité, veuillez ne pas ouvrir les portes et ne descendez pas sur les voies.

Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Pour une fois qu'un conducteur de métro prend la peine de nous informer... il faut évidemment que ce soit ce matin. Histoire de saupoudrer de gazoline mon taux de stress qui est déjà en passe d'exploser le mur du son. Malgré toute ma bonne volonté, il est clair que je n'arriverai jamais à l'heure pour ma rencontre avec De Luca. Éponger le retard causé par ce malaise voyageur est une mission impossible et même si je ne connais pas cette personne, et que je ne suis pas dans sa rame de métro, je suis en train de lui vouer une haine toute particulière.

Quand les portes s'ouvrent enfin sur ma station, il est 07h23. La perspective de me faire virer pour la deuxième fois cette semaine n'est pas une option envisageable. Je choisis donc de transformer chaque seconde en une opportunité de gagner du temps. Alors sans réfléchir, je retire mes talons pour qu'ils n'entravent pas ma course et je quitte la station Alma-Marceau à toute vitesse, mes chaussures en main, pour foncer tel un cyclone sur l'avenue Montaigne.

Les vitrines des plus prestigieuses maisons de haute couture commencent à défiler à toute allure, et j'ai l'impression que les mannequins tirés à quatre épingles qui y trônent se moquent de ma situation avec leurs tenues impeccables et leurs sourires condescendants. Je dois avoir l'air d'une folle, les pieds nus et les cheveux en bataille, mais peu importe. Les Parisiens ont déjà vu bien pire et j'aurai tout le loisir de repenser à ma dignité ce soir, confortablement allongée dans mon lit. Pour l'instant, il y a urgence.

C'est avec un cœur qui bat à tout rompre, les plantes de pieds qui brûlent, et un cardio qui a été bien mis à mal que je me retrouve au pied du bâtiment à 07h28. Je suis peut-être à bout de souffle, mais j'ai un regain d'énergie. Je peux le faire! Avec mon badge coincé entre les dents, je sautille dans le hall pour enfiler mes talons. Je n'ose même pas imaginer l'état de mes pieds ou de mes bas ni le sort qui attend probablement mes chaussures. Je salue rapidement l'agent de sécurité et passe les portiques.

07h29. Je me faufile dans l'ascenseur en priant pour qu'il ne s'arrête à aucun étage. À l'aide du miroir, j'essaie de remettre de l'ordre dans ma tenue et de dompter ma coiffure. D'ordinaire, mes longues boucles noires sont ma fierté, mais après ma petite course improvisée, elles forment un enchevêtrement sauvage autour de mon visage. J'attrape la seule chose que j'ai sous la main dans mon sac, un chouchou oublié là par Tia, et je tente un semblant de chignon. Pour finir, je tamponne le mascara qui a légèrement coulé sous mes yeux et je ventile mes dessous de bras quelques secondes en me forçant à respirer profondément. Usain Bolt a peut-être détenu le record du 100 mètres avec ses 9.58 secondes pendant une longue période, mais je suis convaincue d'avoir largement explosé sa performance aujourd'hui.

SUR UN FILOù les histoires vivent. Découvrez maintenant