CHAPITRE IV

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7h31 OU L'HEURE DU DIABLE

Cher journal,
Le ridicule peut-il tuer? Je commence sérieusement à me poser la question. Car si l'univers a décidé de faire de moi l'actrice principale d'un mauvais sketch, je préfèrerais être prête à toute éventualité.
Un instant, tu crois que tout va bien, et le suivant, tu es en train de vivre la scène la plus gênante de ta vie, sans script, sans avertissement. Et quand enfin ça s'arrête, tu n'as plus qu'une envie : disparaître. Mais non... ça ne marche pas ainsi. Le ridicule ne se laisse pas évincer de l'équation aussi facilement. J'en ai eu la preuve irréfutable deux fois encore.

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Je vais tuer Tia! Sérieusement, qui a ce genre de motif sur un chouchou ? Et quel est le crétin d'illuminé qui s'est dit que des phallus souriants avec des lunettes de soleil avaient leur place sur un accessoire pour cheveux ? Ce monde ne tourne pas rond. Non, en réalité, c'est moi qui ne tourne pas rond. Pourquoi, mais pourquoi n'ai-je pas pris trente secondes pour regarder ce fichu chouchou avant de l'enrouler dans mes cheveux ? Et bien sûr, il a fallu que ce soit lui qui le remarque. De Luca, avec son regard de prédateur qui ne rate jamais rien. Quelle honte! Devant le miroir des toilettes, je l'arrache d'un coup sec et libère ma crinière. Tant pis si je passe la journée en mode fauve. Tout vaut mieux que d'arborer ces maudits phallus souriants. Ce qui m'achève, c'est qu'aucun de mes collègues n'a jugé utile de m'en parler. Ce qui signifie que tous ceux que j'ai croisés depuis ce matin sont susceptibles de l'avoir remarqué. L'éventualité d'écoper d'un nouveau surnom me fait frémir. Cette journée commence à peine, et elle me semble déjà interminable.

Le face-à-face avec De Luca a duré exactement une heure. Une heure... intense. Jane n'avait pas exagéré, si l'exigence avait un visage, ce serait celui de Dorian De Luca. Ce premier meeting, censé poser les bases de notre collaboration, m'a laissée complètement vidée. Alors l'idée de finir à quinze heures trente aujourd'hui m'apparaît comme une bénédiction.

Avant de rentrer, j'en profite pour flâner un peu. J'ai désespérément besoin de chaussures plates, d'élastiques sans motifs et d'un nouveau carnet. Pas question d'investir dans un ordinateur neuf pour l'instant. Je dois absolument garder un filet de sécurité, au cas où De Luca déciderait de me virer une nouvelle fois. Mais un carnet avec une couverture neutre et un stylo sans pompon ridicule cette fois, ça, je peux me l'offrir.

***

Je ne ferai pas deux fois la même erreur. Quand bien même les chances que cela se reproduise sont minces, ce matin, je pars de chez moi avec une heure d'avance. Pas question d'arriver en catastrophe ou de laisser quoi que ce soit au hasard. Cette précaution me permet même de prendre le temps d'apprécier le paysage en chemin. Et qu'y a-t-il de mieux que de commencer la journée dans le calme, chaussures aux pieds ?

Habiter à Oberkampf a ses avantages, et l'un des principaux est que je n'ai pas besoin de changer de ligne de métro pour aller au travail. Ce matin, ledit métro a même décidé de coopérer avec moi. Pas d'attente interminable et pas de panne entre deux stations. Résultat, j'arrive devant les locaux à 6h30, bien avant l'heure fatidique. Tellement tôt que c'est l'agent de nuit que je n'ai jamais croisé qui m'accueille. Après lui avoir présenté mon badge, je prends le temps de faire un brin de conversation avec lui et ce petit détail me met d'excellente humeur. À tel point qu'une idée me traverse l'esprit. Même si le café est gratuit au bureau, je décide d'aller chercher le petit-déjeuner pour De Luca et moi. Après tout, il n'y a aucune querelle qu'un bon plat ne puisse résoudre. Et puisque ce n'est pas demain la veille que j'inviterai mon patron à venir dîner chez moi, des viennoiseries et du jus d'orange pressé devront faire l'affaire.

SUR UN FILOù les histoires vivent. Découvrez maintenant