Chapitre 6

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HELIO

Bizarrement je savais que « boire un coup » avec les anciens copains du lycée signifierait terminer au restaurant, et rentrer à vingt-deux heures. Il est déjà si tard ! J'imagine que c'est foutu pour ma petite soirée sous le plaid. C'est Ava qui va m'en vouloir...

J'avoue avoir eu du mal à sortir, jusqu'à regretter d'avoir dit oui à cette soirée, mais finalement ce n'était pas si mal ! Je devrais me motiver un peu plus pour voir mes amis, mais l'envie de rester chez moi seul au chaud, ou avec Ava me tente beaucoup plus.

J'étais tellement perdu dans mes pensées que je n'ai même pas pensé à tourner dans la bonne rue.

Idiot.

Je m'apprête à faire demi-tour quand j'entends des bruits sourds provenant du bout de la rue. Avec l'obscurité, je n'ai pas vraiment envie de m'aventurer, mais si cela provenait d'une femme en danger... Si quelque chose arrivait à ma sœur j'aimerais que quelqu'un lui porte secours rapidement, alors inconsciemment j'avance vers les bruits.

J'essaie de faire le moins de bruit possible, et lorsque j'arrive à la hauteur du parc, je tente une mise à niveau de l'obscurité avec mes yeux, mais c'est sans compter sur mes foutus problèmes de vue. Heureusement un réverbère avec une faible intensité fait apparaître une silhouette qui frappe... un arbre ?!

Je dois rêver, non ?

- Tu n'es qu'un connard ! Le plus gros de tous les bouffons que la terre ait porté ! Argh, j'ai envie de le tuer ! hurle une femme en tapant en même temps dans le tronc d'un arbre.

- Bonsoir ? Mademoiselle tout va bien ? je lui lance de l'entrée du parc.

- PARFAITEMENT BIEN MERCI !

J'ai bien l'impression que sa remarque est cynique, alors je m'approche un peu plus. En me rapprochant, la lumière fait apparaitre une chevelure rousse qui, dans les circonstances ont l'air de prendre feu tellement cette femme est en colère.

- J'ignore pourquoi vous tapez dans cet arbre, mais je suis certain qu'il n'a pas demandé de punition, dis-je ironiquement.

Elle se retourne, et je reconnais la fille de l'hôpital. Elle a l'air beaucoup moins commode que l'autre fois.

- Je ne savais pas que vous bousculez également les arbres mademoiselle hôpital, je lui dis en m'approchant d'elle.

Elle a l'air très surprise de me voir, mais également... soulagée ?

- Hélio ? Mais qu'est-ce que vous faites ici ? dit-elle déconcertée. Enfin, je veux dire dans ce parc, à cette heure-ci.

- Je peux vous retourner la question, Victoria.

- C'est une longue histoire. Longue comme celle qui vous prend des jours à la raconter, pas celle où vous me répondez « j'ai tout mon temps, racontez moi ». Je vous assure vous n'avez pas le temps pour celle-ci.

Désespérée, elle s'approche d'un banc, et s'assit rabattant ses genoux vers son menton. Je la rejoins en m'asseyant à l'autre bout du banc. Fixant le ciel, je remarque que ce soir les étoiles sont visibles, et je me mets à les contempler en silence.

- Vous savez la dernière fois à l'hôpital, quand vous m'avez dit qu'« il y a des choses plus graves dans la vie » cela m'a fait penser à ma grand-mère, elle me répète cette phrase depuis ma naissance. Un jour, je lui ai demandé « Nonna, comment sais-t-on que le plus grave est là ? Jusqu'à quand peut-on dire qu'il y a plus grave ? ». Elle m'a pris les mains, regardé dans les yeux, et m'a dit : « Le jour où il sera là, tu sauras ». Et bien, je vous assure que depuis qu'elle m'a dit ça même dans les moments graves je repousse l'échéance de ce moment. En un sens, cela m'aide à toujours me relever...

Plongée dans son récit, je la fixe dans l'obscurité. Les étoiles se reflètent dans ses iris à la fois si sombres et étincelants de vie. À l'évocation de sa grand-mère, un tendre sourire se dessine sur son visage, mettant en mouvement les taches de rousseurs sur ses joues.

Magnifique.

Je ne sais pas si c'est la lumière de la nuit, l'odeur de l'automne, ou seulement elle, mais je me sens à ma place ici, sur ce banc pourtant si inconfortable.

- Vous êtes une personne intrigante, Victoria. Vous avez l'air d'avoir énormément de choses à raconter. Cela tombe bien, j'adore les histoires.

Mon information à l'air de l'intéresser puisqu'elle s'apprête à rebondir dessus, mais un homme débarque.

- C'est donc ici que tu te caches. Je savais bien que tu n'avais pas changé au point d'avoir mis de côté tes petites excursions nocturnes au parc, dit-il en s'approchant. Tu penses revenir bientôt ? Ta copine t'attend.

Attends mais cette voix...

Lorsqu'il arrive à notre hauteur, je reconnais Roman. Mais oui ! C'est le parc à côté du restaurant où ils avaient rendez-vous avec Andréa ce soir, et deux autres filles. Je comprends que Victoria est l'une d'elles.

Il passe devant moi faisant semblant de ne pas me connaître, et il continue sa route vers elle. Je ne sais pas à quoi il joue mais à son regard furieux, je me doute qu'il faut que je joue le jeu coûte que coûte.

Il la regarde avec insistance et nostalgie. Qui est-elle pour lui ? Je sais que je ne devrais pas me mêler de ses affaires, mais Victoria semble être une fille beaucoup trop bien pour un gars comme Roman qui traite les femmes comme des mouchoirs à usage unique.

Je n'avais pas remarqué que je fixe Roman depuis une bonne minute, et Victoria se racle la gorge gênée. Elle se rapproche de nous, je devine qu'elle va procéder aux présentations.

- Roman je te présente Hélio, un euh... ami, et Hélio je te présente Roman, une connaissance.

Il semble se décomposer à l'appellation « connaissance » ce qui bizarrement me réjouit intérieurement. Roman a toujours les plus belles filles, j'imagine que son côté bad boy attire plus que mon côté timide.

Par contre, j'ai beau être assez innocent sur beaucoup de sujets, mais lorsqu'il s'agit des comportements corporels, je suis imparable. Je sais bien qu'ils sont beaucoup plus que des connaissances. La question serait plutôt de savoir à quel degré de connaissance.

Victoria semble vouloir fuir le regard de Roman qui garde les yeux fixés sur elle. Ils ont l'air d'avoir pas mal de choses à se dire. Ma conscience me dicte de ne pas laisser Victoria dans ce pétrin, mais d'un autre côté je me sens de trop au milieu des deux. La seule qui peut me dire quoi faire, c'est elle.

Je m'approche de Victoria, et me penche vers son oreille.

- J'ai beau ne pas savoir ce qu'il se passe entre vous deux, si vous voulez que je vous fasse sortir de ce parc, vous n'avez qu'un mot à dire.

Elle s'éloigne de quelques centimètres.

- Je vous remercie Hélio, mais je pense que vous devriez nous laisser. Ma meilleure amie m'attend à l'intérieur, et j'ai une éducation à faire avaler à cet homme, dit-elle en pointant du doigt Roman. Mais je ne suis pas contre la récupération de votre numéro !

Je lui souris, et me retourne en me dirigeant vers la sortie du parc. Dans mon dos, je la sens déconcertée, alors je m'arrête.

- Le destin fait parfois bien les choses. Je suis certain que nous nous recroiserons, Victoria, je me retourne, lui fais un clin d'œil et quitte le parc.

Je devrais m'assurer de sa sécurité, mais même si je ne connais pas leur relation, je connais Roman, et je sais qu'il ne ferait pas de mal à une femme. Du moins physiquement.

Je regarde ma montre qui m'indique que si je ne me dépêche pas de rentrer, c'est une Ava aussi en colère que Victoria que je vais retrouver. J'adore ma soeur, mais l'idée de calmer une femme pour la deuxième fois de la soirée me paraît demander autant d'énergie qu'un marathon.

***

Grey LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant