Chapitre 57 : Le réveil

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 Un mot.

C'est tout ce qu'elle avait laissé derrière elle avant de partir : un mot. D'une brièveté honteuse : « Désolée, gros problème à régler à Londres. J'ai dû partir en urgence, je rentre très vite ». Elle aurait droit à un appel salé de la part de Sophia lorsqu'elle trouverait son message en rentrant, mais elle préférait ne pas y penser pour le moment. Seule Johanne occupait pleinement son esprit.

Julie avait depuis eu le temps de lui donner davantage de détails : le fait que l'actrice n'ait même pas déballé ses sacs en rentrant, qu'elle ait subi une batterie d'examens dès son arrivée à l'hôpital afin de trouver une cause médicale à son état, sans succès, puis la sonde pour la nourrir, les couches, les soins afin de bouger ses membres pour éviter les escarres, sans oublier la prise de benzodiazépines... Et enfin, son rapide retour à domicile compte-tenu de sa notoriété. Là, deux infirmières se relayaient sous clause de confidentialité afin de ne jamais laisser la célébrité seule. Le portrait ainsi dressé rendait Emma malade ; Julie avait beau tenter de la rassurer de toutes les manières possibles, elle sentait au fond d'elle-même qu'elle était l'unique responsable de cette situation.

Elles étaient arrivées sur Londres un peu avant 19h. Malgré l'heure tardive, Emma avait tenu à se rendre auprès de Jo avant même que son deuxième pied n'ait foulé le sol anglais. Julie ne l'avait pas contrariée, sachant que c'était peine perdue, et l'avait donc accompagnée silencieusement jusqu'à la demeure de l'actrice. Là, l'autrice n'avait pas reconnu les lieux autrefois si chaleureux et plein de vie. En bas des escaliers, elle avait levé les yeux en direction de l'étage. Celui-ci semblait gris et froid... Elle posa sa main gauche sur la rembarre et monta lentement, laissant l'infirmière qu'elle avait vaguement saluée et Julie en bas. Elle s'était précipité depuis sa chambre à Lyon, mais elle avançait à présent au ralenti, craignant avec raison la vision qui l'attendait.

Elle découvrit le corps de Johanne allongé sous ses draps, une sonde enfoncée dans le nez pour lui permettre de « manger », la tête surélevée, les yeux fermés... En s'approchant un peu, elle découvrit un visage creusé et un teint d'une pâleur cadavérique. Un haut-le-cœur la saisit brusquement et les larmes la gagnèrent. Elle s'approcha en silence, comme pour ne pas la réveiller – ce qui n'obéissait à aucune logique compte-tenu de la situation – et saisit sa main avec une extrême douceur. Elle finit par briser le long silence qui s'était installé :

« Pardon... chuchota-t-elle en sanglotant. Je te demande pardon... »

Elle posa son visage contre la main qu'elle tenait dans les siennes.

« Je suis tellement désolée... Désolée pour tout... Si tu savais comme je regrette... »

Elle embrassa les doigts frêles et froids, leva les yeux vers le visage en face d'elle imprégné de tristesse malgré la vie semblant l'avoir quittée. Emma ne put soutenir cette vision plus longtemps et rebaissa ses yeux humides :

« Si tu savais tout ce que j'ai envie de te dire... Tout ce que j'ai eu envie de te dire la dernière fois que nous nous sommes vues... »

Elle serra sa main un peu plus fort.

« Je n'y arrive pas Johanne... Je n'arrive à rien sans toi, encore moins à vivre. Il n'y a plus de couleur, plus de goût, plus de lumière... Tout est terne, morne, sans intérêt. Je comprends mieux à présent l'expression « le goût de la vie »... Effectivement, la vie à un goût : le tien. Uniquement le tien. Le reste est sans saveur... »

Elle inspira afin de fluidifier un peu les sanglots qui s'agglutinaient dans sa poitrine.

« J'aurais dû te dire tout cela et bien plus lorsque tu m'as parlée la dernière fois... Tu t'es ouverte à moi et je n'ai pas su réagir. Mais ce n'était que de la survie : je m'émiettais depuis des semaines afin d'atténuer tes souffrances au prix des miennes. Si je n'ouvrais même qu'une minuscule brève vers mon cœur, je me serais écroulée... sans pouvoir me relever. »

DilEmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant