𝟔𝟎. 𝐋𝐞 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐬 𝐝𝐞𝐬 𝐚𝐮 𝐫𝐞𝐯𝐨𝐢𝐫. 𝐁𝐮𝐬𝐚𝐧 𝐦'𝐚𝐩𝐩𝐞𝐥𝐥𝐞

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Jeudi 30 janvier, Séoul, Corée du Sud,

Il fait froid. La neige est tombée en fine couche durant la nuit, couvrant l'ensemble de la capitale de cette poudreuse que j'aime tant contempler, mais qui aujourd'hui, m'attriste. Nous sommes devant l'entrée de la base militaire. Les familles se regroupent pour dire un dernier au revoir à leurs enfants. Je suis accompagné des Johnson, de Connor et de Gabriel. Jaekyung se tient debout devant, emmitouflé sous sa grosse doudoune en attendant l'appel. Les regards ne m'échappent pas. Toujours cette curiosité ou ce mépris à mon égard, mais aussi à l'intention de mon compagnon. Nous le savons tous, que les handicapés sont vus comme des nuisibles en Corée du sud. Certaines croyances pensent même que c'est le résultat d'un péché commis dans une vie antérieure, de la faute d'un ancêtre ou d'un démon. On est plus qu'une gêne qu'autre chose. Des choses que l'on doit aider au quotidien. Une corvée. Pour l'homosexualité, c'est un peu la même chose. Même s'il n'existe pas de loi contre l'homosexualité, nous ne sommes pas vus d'un bon œil.

Quel comble pour un homosexuel handicapé, d'être en couple avec un homme s'apprêtant à s'enrôler dans l'armée, m'embrassant sans gêne devant des familles, et notamment ces hommes, qui seront ces futurs compagnons pour ces dix-huit mois à venir. Je ne vous cache pas que j'ai peur. J'appréhende énormément le traitement qu'ils vont recevoir au sein de leur base respective. Évidemment, je sais que Jaekyung ne se laissera pas marcher dessus, qu'il a un fort caractère. Mais le harcèlement en groupe, la pression psychologique, l'isolement, sont monnaies courantes au sein de l'armée. Ce n'est pas pour rien que la majorité des hommes coréens essaient d'être exempté du service militaire, au point de s'inventer de faux problèmes de santé, qui lorsque le mensonge est découvert, encours de la prison. Ce n'est pas pour rien que les athlètes coréens se battent pour obtenir une médaille. Car seuls les athlètes remportant l'or aux Olympiques, ou lors des Jeux asiatiques sont exemptés, tout comme les musiciens ou danseurs remportant des titres internationaux.

Ma gorge se noue à mesure que les minutes s'écoulent.

— Tu n'as rien oublié, Jaekyung ? demande Carole en lui ajustant le bonnet sur la tête.

Il sourit en la laissant faire.

— Non, j'ai tout pris, ne vous inquiétez pas.

William s'approche, ému. Il pose ses mains sur ses joues, leurs regards s'ancrent l'un dans l'autre.

— Je suis fier de toi, mon fils. Ne l'oublie jamais, dit-il la voix tremblante. Je suis sûr que tout se passera bien pour toi. Tu reviendras encore plus fort et nous serons là pour t'acceuillir. Ces dix-huit mois vont passer vite.

— On t'aime fort, mon garçon, ajoute Carole, les larmes aux yeux. On t'aime très fort.

Ils s'enlacent tous les trois dans une puissante étreinte. Je retiens mes pleurs. Je me suis promis de ne plus pleurer, mais vais-je tenir cette promesse ? Je sens la main de Gabriel se glisser sur mon épaule. Il se tient derrière moi, mais je peux l'entendre renifler. Est-ce à cause du froid, ou pleure-t-il lui aussi ? Peut-être les deux, qui sait. Je crois que nous en sommes tous au même stade et personne ne peut nous juger pour ça. Les au revoir sont difficiles, ils vont bientôt l'appeler. Il va bientôt me quitter. Mon amour. Cette semaine est passée tellement vite, mais les souvenirs sont présents. Dans ma tête, dans mon cœur, comme dans cet album que j'ai soigneusement préparé pour Busan. Tout y est pour que lorsque j'aurais un moment de faiblesse, il soit là auprès de moi.

— On pourra te rendre visite quand ce sera autorisé, dit Connor en passant ses mains sur son visage. Ne t'inquiète pas, je serais là pour te faire chier.

A Nos Âmes ÉcorchéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant