Prologue

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« Il pleuvait. Ça faisait tellement cliché. Comme dans tous ces films américains : quand la scène est triste, il pleut. Là, c'était triste aussi. Alors il pleuvait. Enfin, moi, j'étais triste, en ce vendredi treize décembre au soir. Il devait être dix-huit heures, et il faisait déjà noir. En soi, c'était une journée assez banale, pourtant elle me rappelait ce qui avait bousculé ma vie, et se préparait à la faire virer une nouvelle fois. »


La nuit était tombée, voilant le cimetière de son linceul éphémère. Les endeuillés avaient presque tous quittés les lieux. Les retardataires erraient, grandes ombres noires abritées sous leur parapluie ou leur capuche. Devant une tombe, un jeune homme arrangeait la disposition de quelques plantes. Il était vêtu d'un épais manteau noir, d'un jean et de chaussures en toile, désormais trempées par la pluie. Ses pieds congelés le faisaient souffrir. Bientôt, ses orteils se détacheraient. Un sourire étira furtivement ses lèvres ; contraction attristée des mauvais jours. Était-ce ce petit tremblement au coin de la bouche qui avait trahi son émoi ? Ou bien ses yeux noirs, humides, et rouges ? Ses cheveux bruns ébouriffés, signe qu'il avait nerveusement passé sa main, et ce à plusieurs reprises, sur son crâne ?

- Ben ?

Extrêmement surpris, il releva la tête avant de se redresser. Il connaissait cet homme qui l'abordait ; très bien, même. Il s'agissait de son frère aîné, Andreï. Il avoisinait le mètre quatre-vingt-quinze, puisqu'il faisait dix bons centimètres de plus que lui. Il avait les mêmes cheveux bruns, mais ses yeux se teintaient du bleu des glaciers. Plus fin que Ben, et en dépit de sa taille imposante, il avait ce petit air « d'intello » sous ses lunettes rectangulaires et sa chemise à carreaux dont le col dépassait de sa veste grise. Son visage émacié, fatigué, revêtait une expression grave.

- Salut Andreï, souffla Ben. Qu'est-ce qu'il se passe ? Comment ça se fait que tu sois là ?

- Ça va ?

Il avait éludé la question. Son cadet fronça les sourcils : il était évident que quelque chose n'allait pas. Son frère montrait sa figure des mauvais instants : rides sur le front, regard sombre, cernes par dizaines, lèvres pincées.

- Ça peut aller. Avec le temps, ça s'estompe.

- Ouais...

- Je m'attendais pas à te voir ici. Ni ailleurs, en fait.

- Je savais que je te trouverai là. On est le treize.

- C'est vrai.

Silence. Ils regardaient la tombe tous les deux. Sans doute espéraient-ils un signe de sa part. Un mot, un geste, rien qu'un souffle qui pût provoquer l'effondrement des barrières qu'ils avaient inconsciemment érigées entre eux. Ben ferma les yeux, les rouvrit. La lune, ronde, blanche, scintillante, bravait les nuages pour veiller sur les morts et éclairer les rares vivants présents.

- Ça fait longtemps qu'on ne s'était pas vus.

- Un an, deux mois et... quelques jours, j'imagine, fit Andreï, un sourire penaud aux lèvres.

- Euh... j'imagine, oui.

Le sourire du grand brun s'accentua. Un nouveau silence s'installa. Il dura une minute tout au plus ; minute qui leur parut à tous deux être une éternité, l'équivalent de l'infini et du néant, du rien.

- Et...

Trouver quoi dire.

- Que me vaut l'honneur de cette visite ?

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