Chapitre I - Partie 3 : Le secret

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- J'avais une autre chose à te dire.

- Oui ?

- Je ne vais pas monter dans le vaisseau.

Ses sourcils noirs tentèrent aussitôt de se rejoindre. Il dévisagea Andreï, cherchant dans ses yeux toute lumière qui pourrait lui indiquer qu'il mentait.

- Pourquoi ? C'est... c'est ton rêve de gosse, non ? commença-t-il, dubitatif. C'est ce que tu as toujours voulu faire, visiter d'autres planètes, les découvrir, rapporter au monde ce que tu savais !

- Je sais, et c'est toujours ce que j'ai envie de faire. Mais vu les circonstances actuelles... J'ai fait ce que j'avais à faire.

Face à l'air médusé, surpris et agacé du jeune homme, il continua :

- Ecoute, Ben, tu me connais, je ne fais pas ça sans raison. Je...

Il prit une grande inspiration, déglutit, joignit les mains, les posa sur ses cuisses, les frotta, souffla à nouveau, leva les yeux vers le plafond, comme pour chasser des larmes trop audacieuses.

- Je veux que ce soit toi qui continues. Tous ces gens... il leur faudra un guide, quelqu'un qui puisse les aider, les conduire. Ça ne peut pas être l'anarchie, on ne peut pas se le permettre. Tu es jeune, en parfaite santé, et je sais que même si tu ne t'en crois pas capable, tu l'es. J'ai confiance en toi, tu es le seul en qui j'ai assez confiance pour lâcher la bride. Les autres créateurs du vaisseau n'embarquent pas tous, beaucoup laissent leur place à une femme, un enfant... Moi je n'en ai pas, je n'ai que toi de vivant, alors c'est toi qui monteras. Ne proteste pas, ça ne sert à rien ; j'aurais voulu y aller, mais je ne peux pas, je ne veux pas, parce qu'il serait stupide qu'un mec atteint d'un cancer grimpe dans un vaisseau spatial avec l'espoir de vivre ailleurs, ça serait stupide parce qu'il n'y aurait aucun moyen de le soigner, là-bas. Ça serait une place, une vie, de volée.


Silence.


Face à ce genre d'annonces, les réactions manquent souvent. Il prit le temps de réaliser. Il porta une main à sa bouche, le désarroi emplissant ses yeux bruns, prit une inspiration tremblante. Il eut un sourire ; ce genre de sourires qui s'exprime parce que vous ne savez pas quoi dire, parce que vous êtes gêné, et qui vous rend plus mal à l'aise encore, ceux sur lesquels vous ne voulez pas que les autres se méprennent, et que vous voulez à tout prix effacer.

- OK, OK...

Il souffla, affrontant le mutisme pesant de son frère.

- Je m'attendais pas à un dîner pareil. C'est... je... tu le sais depuis combien de temps ? Et c'est quoi, comme type de cancer ?

- Six mois, leucémie.

Il avait effectivement maigri : ses joues s'étaient creusées, ses clavicules ressortaient, son corps peinait à remplir son tee-shirt... mais Ben avait attribué ces changements à son activité. Bourreau de travail, Andreï se montrait amplement capable d'oublier de manger s'il était plongé dans ses formules, et il était en mesure de ne pas s'arrêter avant les premières lueurs de l'aube. Il baissa la tête. Rester calme. S'affoler ne servait à rien. Il avait l'habitude de gérer ces sortes de situations. Il savait déjà, au travers de l'expression des autres, de leurs mots, ce que c'était que de perdre quelqu'un du cancer. Il savait, pour avoir essayé d'en secourir d'urgence, après des crises de spasmophilie, d'épilepsie, ou toute autre réaction liées aux médicaments. Il savait déjà, au travers de ses propres expériences, ce que c'était que de perdre quelqu'un. Il savait, pour avoir laissé cette amie d'enfance mourir, sans pouvoir rien faire, impuissant. Il savait tout ça, et tout ça ne lui arriverait pas. Non, il devrait affronter une autre injustice dans laquelle, malgré tout, sa nature humaine, égoïste et apeurée, trouvait un réconfort malsain : parce qu'Andreï mourrait, il allait vivre. Les revers de l'instinct de survie.


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Cher lecteur, chère lectrice. Je m'excuse pour ce chapitre qui n'en finit pas (non, il n'est toujours pas fini), mais je tiens à te prévenir que cela risque d'être pareil pour les autres. Je les découpe (sur les bons conseils d'OrezzaDantes, merci) pour que ta lecture, à toi qui te promènes sur smartphone ou tablette, soit plus agréable que le prologue (que j'ai balancé d'un coup, avec ces 7 pages sur Word) : plus courte et plus espacée (comme ça, tu t'arrêtes où tu veux dans le chapitre, tu t'y retrouves facilement). Et puis, au moins, ça a le mérite de faire durer le "suspens" (et ça me laisse le temps de poster bout par bout, et donc d'avoir un temps de rédaction plus court ; bref, c'est tout bénéf). J'espère que tu comprendras le geste ! Et surtout, si tu veux laisser un commentaire, n'hésite pas, ça me ferait très plaisir d'avoir un retour, positif ou négatif, de ton ressenti ! :D (et promis, je ne mords pas)

NeseïrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant