Chapitre I - Partie 4 : Le refus

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Il se prit la tête entre les mains, serrant ses mèches rebelles entre ses doigts.

- C'est morbide.

- Quoi ?

- Tu me laisses ta place parce que tu meurs, et je vais vivre parce que toi tu seras mort.

- Je te l'aurais probablement donnée même si j'avais pu vivre...

Leurs regards s'accrochèrent. Ni l'un ni l'autre ne pouvaient savoir s'il s'agissait d'un mensonge, et au fond, ils ne préféraient pas se le dire. Ben ne savait même pas s'il aurait eu le courage de refuser la proposition de son frère. C'était cela ; il se trouvait couard. Aussitôt, il repensa à une autre nouvelle, qui l'avait moins secoué sur le moment parce qu'elle était délivrée avec celle de la maladie, plus pesante. Depuis quelques années, il se dérobait ; il avait peur de l'échec, et peur de s'attacher. Il s'agissait des risques de son métier, et il aurait pu ne se concentrer que sur l'allègement de ceux-ci, mais non. C'était plus facile, dans la vie, de fuir. Il passait son temps à ça, c'était vrai : fuir la milice, les conflits, la guerre, fuir les responsabilités, les remords, les souvenirs.

- Je n'ai pas l'âme d'un leader..., finit-il par souffler, du bout des lèvres, peut-être trop honteux de sa propre pleutrerie.

Andreï l'observa, silencieux, impassible. Saisi par un sursaut de colère et d'appréhension, mêlés à d'autres sentiments et émotions plus troubles, son cadet se leva brutalement.

- Comment veux-tu que je guide des gens alors que je passe mon temps à... je suis égoïste, Andreï ! Enfin non, je-j'aime aider les gens, et c'est mon boulot, mais je ne suis pas là pour les guider ou leur donner des ordres. Je ne suis pas un leader, pas une tête. J'ai toujours fait partie des élèves médiocres. Je n'ai jamais été premier de la classe comme toi. Je voulais faire de grandes études, comme toi, et puis j'ai abandonné, parce que... parce que j'ai pas le cran, c'est tout ! Je vais arriver sur cette planète et quoi ? Je vais me trouver face à des inconnus et quoi ? Pour certains d'entre eux je ne serai qu'un gamin, un gamin pleurnicheur, peut-être, et aussi perdu qu'eux alors... pourquoi ils me suivraient ? Pourquoi ils se diraient « tien, ce type, je vais lui confier ma vie » ?

Il laissa ses bras levés retomber le long de son corps, abattu par sa propre tirade, et lâcha un soupir las. Personne ne voudrait le suivre ; et au fond il espérait bien que personne ne le voulût.

- Parce que tu en as sauvé des centaines ? tenta le grand brun, hésitant.

Il relâcha la pression qui lui crispait les épaules, et poursuivit :

- Ecoute, Ben, j'en sais rien, je sais pas pourquoi on te suivrait. C'est vrai, tu es lâche, égoïste, défaitiste, pessimiste, et pas débrouillard pour deux sous.

Il s'arrêta un moment, prenant le temps de considérer l'air à la fois blessé et d'accord de son frère. Puis il se déplia à son tour, et posa une main sur son épaule.

- Non, tout ça, c'est ce que toi tu crois, et c'est ce que tu montres, parce que tu as envie qu'on te foute la paix. C'est peut-être même pas ça, en fait, la raison, mais ça m'est égal, on s'en fout. Les faits sont là : t'en branles pas une. Pas dans la vie de tous les jours. Y'a qu'à ton job que tu te réveilles et que tu sors vraiment de tes idées préconçues.

D'un doigt, il pointa le front du pompier, avant d'exercer une légère pression dessus.

- Tu sauves des vies, tu te jettes dans des incendies, tu tentes le tout pour le tout, tu gardes l'envie malgré les échecs... C'est probablement très niais, ce que je suis en train de te dire, et très inattendu aussi, mais puisqu'il faut aller jusque-là... Tout ce que t'as à retenir, c'est que sur cette planète, t'auras qu'à faire comme si tu bossais vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de jour comme de nuit, sans relâche. Et à te souvenir que, accessoirement, si tu échoues, mon fantôme viendra te hanter pour le restant de tes jours.

Un rire bref s'échappa de sa bouche ; mais ça ne faisait même pas sourire Benjamin.

- Il faut que je rentre.

- Ben...

- Laisse-moi, il faut que je rentre. Je ferai pas ton truc, je prendrai pas ce risque, Andreï !

Sans un mot de plus, il attrapa ses affaires, sortit, et claqua la porte sèchement. Il dévala les escaliers à toute vitesse, souhaitant accentuer au plus vite la distance qui le séparerait de lui.


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Lecteurs, lectrices, je vous annonce que le Chapitre I se termine finalement ici. Je voulais écrire autre chose... mais finalement ça sera pour un peu plus tard (:

Si vous avez des choses à dire sur ce premier chapitre - même s'il ne se passe pas grand chose aha -, allez-y !

NeseïrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant