Chapitre 1- suite 5

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«On a été entourés de gens, tu m'as poussée au milieu d'une foule de visages et de couleurs informes. Tu avais sans doute tout prévu, le billet, le nouveau passeport, l'itinéraire, le moyen de passer la sécurité sans encombre. Je me demande si c'était le rapt le mieux préparé du monde, ou si tu as seulement eu de la chance. Ça n'a pas dû être facile de me faire traverser l'aéroport de Bangkok et monter dans un avion différent au nez et à la barbe de tout le monde et sans que je m'en rende compte non plus.
Tu n'arrêtais pas de me gaver de chocolat, ce goût de chocolat noir crémeux toujours dans la bouche, qui me collait aux dents. Avant toi, j'adorais le chocolat, maintenant, l'odeur seule me soulève le cœur. Au troisième, je suis tombée dans les pommes. J'étais assise quelque part, appuyée contre toi. J'avais froid et besoin de la chaleur de ton corps. Tu as dit quelque chose à voix basse à mon sujet.
- Elle a trop bu. On a fait la fête.
Ensuite on s'est retrouvés serrés comme des sardines à l'intérieur des toilettes. J'ai senti un souffle d'air quand le contenu de la cuvette a été aspiré sous moi.
Puis on a remarché, un autre aéroport, peut-être. D'autres gens, un parfum de fleurs, sucré, tropical et frais, comme s'il venait de pleuvoir. L'obscurité est tombée. C'était la nuit, mais elle n'était pas froide. À un moment, tu m'as fait traverser un parking et j'ai commencé à me réveiller, je me suis débattue. J'ai essayé de crier, mais tu m'as entraînée derrière un camion et tu m'as appliqué un chiffon sur la bouche. Le monde a replongé dans le brouillard, je me suis écroulée dans tes bras. Tout ce que je me rappelle ensuite, c'est la sensation engourdie d'un voyage en voiture, la sensation d'être ballottée, le ronronnement interminable d'un moteur.

En revanche, ce dont je me souviens très bien, c'est du réveil et de la chaleur, qui m'a prise à la gorge, m'empêchant de respirer. J'en aurais presque souhaité retomber dans les pommes. Puis il y a eu la douleur, la nausée.
Au moins, tu ne m'avais pas attachée au lit, c'était déjà ça. D'habitude, dans les films, les victimes sont toujours attachées au lit. Cela dit, je pouvais difficilement bouger. Chaque fois que j'essayais de changer de position, même un peu, du vomi me remontait dans la gorge et j'avais la tête qui tournait. J'étais recouverte d'un drap léger. J'avais l'impression
d'être au centre d'un brasier. J'ai ouvert les yeux: tout était gondolé, beige, informe. J'étais dans une pièce. La lumière me faisait mal aux yeux. Je ne te voyais pas. J'ai tourné doucement la tête pour voir. J'ai senti du vomi dans ma bouche, je l'ai avalé. J'avais la gorge gonflée, râpeuse, hors d'usage.
J'ai refermé les yeux et essayé de respirer profondément. J'ai vérifié mentalement si j'étais entière: mes bras étaient là, mes jambes, mes pieds aussi. J'ai agité les doigts, tout fonctionnait. J'ai glissé la main jusqu'à mon ventre. J'étais en T-shirt, mon soutien- gorge me sciait la poitrine et j'avais les jambes nues, mon jean avait disparu. J'ai touché le drap du dessous et posé la main sur le haut de ma cuisse, ma peau est devenue instantanément chaude, collante. Je n'avais plus ma montre.
J'ai passé la main sur ma culotte, palpé au travers. J'ignore ce que je pensais trouver, ni même ce à quoi je m'attendais. Du sang, peut-être, ma chair meurtrie, mais rien de tout mais rien de tout ça.M'avais-tu retiré ma culotte? M'avais-tu pénétrée? Et dans ce cas, pourquoi avoir pris la peine de me la remettre?
- Je ne t'ai pas violée.
J'ai agrippé le drap, tourné violemment la tête pour essayer de te localiser. Je ne voyais pas encore très bien. Tu étais derrière moi. Ça, je l'entendais. J'ai tenté de gagner le bord du lit, de m'éloigner de toi, mais je n'avais pas assez de force dans les bras, ils se sont mis à trembler et je me suis effondrée. Je sentais mon sang battre en moi, je pouvais presque entendre mon corps puiser, se réveiller. J'ai testé ma voix, il n'est sorti qu'un gémissement de ma gorge, j'avais la bouche contre l'oreiller. Je t'ai entendu avancer quelque part.
- Tes vêtements sont à côté du lit.
Ta voix m'a fait tressaillir. Où étais-tu? Combien de mètres nous séparaient? J'ai entrouvert les yeux, la douleur était moins forte. À côté du lit, j'ai vu un jean neuf soigneusement plié sur une chaise en bois. Ma veste avait disparu, mes chaussures aussi, remplacées par une paire marron, lacée, confortable, qui ne m'appartenait pas.
Je t'ai entendu marcher, t'approcher de moi, et j'ai voulu me recroqueviller, t'échapper. Tout était lourd, lent. Pourtant, mon cerveau fonctionnait, mon pouls s'accélérait. J'étais au mauvais endroit, je le savais. J'ignorais comment j'étais arrivée là, ce que tu m'avais fait subir.
J'ai entendu le plancher craquer plusieurs fois encore, senti la peur bondir de ma poitrine dans ma gorge. Un treillis marron clair s'est figé devant moi, le morceau d'étoffe qui séparait les genoux de l'entrejambe à hauteur d'yeux, il était maculé de taches rougeâtres. Tu n'as rien dit. Ma respiration s'est emballée, j'ai agrippé le matelas et me suis forcée à lever les yeux jusqu'à ton visage sans temps d'arrêt. J'ignore pourquoi, mais j'avais vaguement espéré que tu sois quelqu'un d'autre. Je ne voulais pas que la personne à côté du lit ait le visage que j'avais trouvé si séduisant.
Mais c'était bien toi, les yeux bleus, les cheveux tirant sur le blond et la petite cicatrice. Sauf que, cette fois, tu n'étais pas beau, tu étais monstrueux.
Ton visage était impassible, tes satanés yeux bleus, froids, tes lèvres, minces. J'ai tiré le drap le plus haut possible, ne laissant apparaître que mes yeux, mes yeux qui te regardaient; le reste de mon corps était pétrifié. Tu es resté sans bouger, à attendre que je parle, à attendre le flot de mes questions. Voyant qu'elles ne venaient pas, tu y as répondu malgré tout.
- C'est moi qui t'ai amenée ici, tu as dit. Tu as mal au cœur à cause des drogues. Tu vas te sentir bizarre un certain temps, tu auras du mal à respirer, des vertiges, la nausée, des hallucinations...
Ton visage était un tourbillon, j'ai fermé les yeux. Derrière mes paupières, j'ai vu des étoiles, une galaxie de minuscules étoiles tourbillonnantes. Je t'ai entendu avancer vers moi, te rapprocher. J'ai testé ma voix.
-Pourquoi? ai-je murmuré
- Il le fallait.
Le sommier a grincé et mon corps s'est soulevé quand tu t'es assis au bord du lit. Je me suis écartée. J'ai voulu poser le pied par terre, mais mes jambes ne répondaient toujours pas. La pièce valsait autour de moi, je me suis détournée, m'attendant à vomir d'une seconde à l'autre. Ça n'est pas venu. J'ai serré mes jambes contre ma poitrine, trop contractée pour arriver à pleurer.
- Où suis-je?
Tu n'as pas répondu tout de suite. Je t'ai entendu reprendre ta respiration, soupirer, j'ai entendu le frottement de tes vêtements quand tu as changé de position. C'est alors que je me suis rendu compte qu'hormis les bruits que tu faisais, je n'en entendais aucun nulle part.
- Tu es ici, tu as dit. En sécurité.
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Alors , qu'en pensez vous? 😄

Lettre à mon ravisseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant