Chapitre 1- suite 7

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J'ai été instantanément clouée au sol par le soleil. Tout était brillant, douloureusement brillant. Et brûlant, plus chaud même qu'à l'intérieur. Ma bouche s'est asséchée d'un coup.
Je me suis adossée au chambranle, cherchant ma respiration. J'ai levé la main pour protéger mes yeux, qui ne cessaient de cligner. J'étais aveuglée par tant de blancheur, j'avais l'impression d'être montée au ciel, sauf qu'il n'y avait pas d'anges.

Je me suis obligée à garder les yeux ouverts, à regarder. Aucun mouvement nulle part, pas la moindre trace de toi. À côté de la maison, sur ma droite, se dressaient deux autres bâtiments. On aurait dit des abris de fortune, réunis par des bouts de fer et de bois. Sur le côté, protégés par un toit métallique, étaient garés un 4 x 4 pourri et une remorque. Puis, j'ai vu le reste.
Et j'ai cru suffoquer. Aussi loin que portait mon regard, il n'y avait rien, qu'une étendue de terre brune menant à l'horizon. Du sable et encore du sable, piqueté de petites touffes de buissons rachitiques avec un arbre sans feuilles de temps à autre.
Une terre morte et assoiffée.
J'étais perdue au milieu de nulle part.
Je me suis retournée. Aucune autre construction à perte de vue, ni routes, ni gens, ni poteaux télégraphiques, ni trottoirs. Rien du tout. Que le vide, la chaleur et l'horizon. Je me suis enfoncé les ongles dans la paume  de la main et j'ai attendu que la douleur me confirme que je n'étais pas en train de faire un cauchemar.
En me mettant en route, je savais que c'était sans espoir. Vers où courir? C'était partout pareil. Je comprenais pourquoi tu n'avais pas fermé les portes à clef, pourquoi tu ne m'avais pas attachée au lit. Il n'y avait rien ni personne, que nous.
J'avais les jambes raides et lentes à la détente, les muscles des cuisses instantanément douloureux, les pieds qui cuisaient. La terre était certes nue, mais elle était truffée de piquants, de cailloux, d'épines et de racines. J'ai serré les dents, baissé la tête et sauté par-dessus les broussailles.
Mais le sable aussi était bouillant, douloureux comme le reste.
Bien sûr, tu m'as vue. J'étais à cent mètres de la maison quand j'ai entendu la voiture démarrer .

J'ai continué pourtant, ma vessie me torturant à chaque pas. J'ai même accéléré l'allure. J'ai fixé un point dans le lointain et j'ai couru vers lui. Ma respiration était sifflante et j'avais les jambes lourdes, les pieds en sang. J'ai entendu les roues de la voiture patiner et se rapprocher de moi.
J'ai zigzagué pour te ralentir. J'étais à moitié folle, je cherchais désespérément de l'air, je  hoquetais, je sanglotais. Tu as continué d'avancer malgré tout, tu roulais vite derrière moi, le moteur rugissait. Du coin de l'œil, j'ai vu que tu tournais le volant pour passer devant moi.
Je me suis arrêtée et j'ai changé de direction, mais tu étais comme un cow-boy avec un lasso, m'encerclant, me bloquant partout où j'allais. Tu me rabattais, m'épuisais à force de galoper. Tu savais que c'était une question de minutes avant que je n'arrive plus à courir. Telle une vache affolée, je me suis obstinée, m'éloignant de toi en cercles décroissants. Il ne faisait aucun doute que j'allais tomber.
Tu as arrêté la voiture et coupé le moteur.
- C'est inutile, tu as hurlé. Tu ne trouveras rien ni personne.
J'ai fondu en larmes, d'énormes sanglots qui semblaient ne devoir jamais prendre fin.
Tu as ouvert ta portière et tu m'as attrapée par le T-shirt, à la nuque, tirée, alors que mes bras raclaient par terre. J'ai tourné la tête et je t'ai mordu de toutes mes forces. Tu as laissé échapper un juron. Je t'ai fait saigner, je le sais, j'ai eu le goût de ton sang dans la bouche.
Je me suis relevée et j'ai couru. Mais tu as été après moi en un éclair. Cette fois, tu m'as immobilisée au sol de tout ton corps. J'ai senti le sable m'écorcher les lèvres. Tu as pesé sur moi de ton torse contre mon dos, de tes jambes sur mes cuisses.
- Laisse tomber, Gemma. Tu ne vois donc pas qu'il n'y a nulle part où aller? tu as grogné dans mon oreille.
Je me suis débattue, mais tu n'as fait qu'appuyer plus fort, me maintenant les bras le long du corps, me comprimant. Ma bouche s'est  remplie de sable, ton corps lourd sur le mien.
J'ai laissé s'écouler mon pipi.

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Lettre à mon ravisseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant