« J'ai regardé autour de moi pour vérifier si mes parents étaient à ma recherche, bien que j'aie su que c'était improbable. Ils devaient être trop contents de lire les magazines qu'ils avaient achetés pour se donner l'air intelligent. Et puis, maman n'aurait jamais voulu reconnaître sa défaite dans la dispute qui nous avait opposées en venant à ma rencontre. Mais j'ai regardé, malgré tout, un essaim de visages sans nom, lentement attiré vers le comptoir: des gens, des gens, partout; le ronronnement de la machine à café; les hurlements stridents des enfants; l'odeur d'eucalyptus qui s'échappait de ta chemise à carreaux. J'ai bu une gorgée de café.
- Elle collectionne quoi, ta mère? tu as demandé d'une voix douce, mobilisant à nouveau mon attention.
- De la peinture surtout. Des tableaux de bâtiments, de la peinture abstraite. Vous connaissez Rothko? Mark Rothko?
Tu as froncé les sourcils.
- Bref, ce genre de trucs. Je trouve ça plutôt prétentieux, tous ces carrés à l'infini.
Je racontais à nouveau n'importe quoi. Je me suis interrompue pour regarder ta main toujours posée sur la mienne. Était-ce sa place? Étais-tu en train de me draguer? Personne ne s'y était jamais pris de cette façon au lycée.Surprenant mon regard, tu as retiré rapidement ta main, comme si tu venais toi aussi de te rendre compte qu'elle était là.
- Pardon.
Tu as haussé les épaules mais, voyant la petite étincelle dans tes yeux, je t'ai souri.
- Je suis un peu tendu, tu as ajouté.
Tu as reposé ta main à côté de la mienne cette fois, à quelques centimètres à peine. J'aurais pu la toucher en bougeant le petit doigt. Tu ne portais pas d'alliance, pas de bijou.
- Vous faites quoi? ai-je demandé. Vous n'êtes plus au lycée?
Une grimace m'a échappé, on savait tous les deux que c'était idiot. Tu étais à l'évidence plus âgé que tous les garçons avec qui j'avais jamais discuté. Tu avais des petites rides de soleil autour des yeux et de la bouche, un corps d'homme, et tu étais plus sûr de toi que tous les empotés de mon lycée.
Tu t'es calé dans ta chaise avec un soupir.
- Moi aussi, je fais de l'art, si on veut, mais je ne peins pas des carrés, tu as dit. Je voyage un peu, je jardine, je construis, ce genre de trucs. J'ai hoché la tête, comme si je comprenais. J'avais envie de te demander ce que tu faisais dans cette cafétéria avec moi, si je t'avais déjà vu, pourquoi je t'intéressais? Je n'étais pas idiote, il était clair que j'étais beaucoup plus jeune que toi. Mais je ne t'ai pas posé la question, j'étais sans doute intimidée et je ne voulais pas de te mettre dans une position inconfortable. Qui sait aussi si je ne me sentais pas plus adulte de boire un café en compagnie de l'homme le plus beau de la cafétéria ,café qu'il m'avait offert. Je n'avais peut-être pas l'air aussi jeune que ça finalement, me suis-je dit, même si je n'avais que du gloss pour tout maquillage. Et tu faisais peut-être plus vieux que ton âge. Profitant de ce que tu jetais un coup d'œil par la baie vitrée, j'ai dégagé la mèche de cheveux que j'avais coincée derrière mon oreille et l'ai laissée retomber sur mon visage. Puis, je me suis mordillé les lèvres pour les rendre plus rouges.
-Je ne suis jamais allé au Vietnam, tu as dit au bout d'un moment
- Moi, non plus. Je préférerais aller en Amérique.
-Vraiment? Avec toutes ces villes, tous ces gens...?
Tes doigts se sont contractés quand tu as constaté que j'avais libéré ma mèche. Alors tu t'es penché par-dessus la table pour la remettre derrière mon oreille. Puis tu as eu un moment d'hésitation.
- Pardon, je..., tu as murmuré, incapable de terminer ta phrase, en rougissant légèrement.
Tes doigts se sont attardés sur ma
tempe, j'ai senti leur bout rugueux. À leur contact, mon oreille est devenue brûlante. Puis tu as fait descendre ta main jusqu'à mon menton et tu l'as soulevé avec le pouce pour me regarder, comme pour m'étudier à la lumière artificielle qui tombait du plafond. Et quand je dis «regardée», c'est «regardée», avec des yeux comme deux étoiles. Tu m'as immobilisée, épinglée, en ce point précis de l'aéroport de Bangkok, petite chose attirée par la lumière. Et pour en avoir, j'en avais, des ailes qui voletaient dans la tête, de grandes ailes de papillon. Tu m'as attrapée facilement, attirée à toi, comme si j'avais déjà été prise dans ton filet.
- Tu ne préférerais pas l'Australie? tu as demandé.
J'ai ri, tu avais posé la question avec un tel sérieux.
Tu as retiré immédiatement ta main.
- Bien sûr, ai-je dit.
J'ai secoué les épaules, le souffle court.
- Tout le monde a envie d'y aller, ai-je ajouté.
Tu es resté sans rien dire, le regard baissé. J'ai secoué la tête, la brûlure de ta main toujours sur ma peau, je voulais que tu continues à me parler.
- Vous êtes australien?
Ton accent était déconcertant, il ne ressemblait pas à celui des acteurs de Neighbours. Par moment, on aurait dit que tu étais anglais et à d'autres, que tu venais de nulle part. J'ai attendu, mais tu n'as pas répondu. Alors je me suis penchée vers toi et je t'ai secoué le bras.
- Ty? ai-je dit, appréciant ton prénom, sa sonorité. Alors c'est comment finalement, l'Australie?
Tu m'as souri et ton visage s'est transformé, illuminé, comme ensoleillé de l'intérieur.
- Tu le sauras bientôt, tu as dit.
Soudain, les choses ont changé. Alors que tout accélérait autour de moi, j'ai été frappée de lenteur. C'est incroyable, franchement, ce qu'une toute petite pincée de poudre est capable de faire.
- Tu te sens comment? tu as demandé en me regardant avec des yeux écarquillés.
J'ai ouvert la bouche pour te répondre que j'allais bien, mais je n'ai pas compris un traître mot de ce qui en sortait. On aurait dit de la bouillie, ma langue était épaisse, trop« pour former des mots. Je me rappelle les lumières se transformant en boules de feu, l'air conditionné me gelant les bras, l'odeur du café se mêlant à celle d'eucalyptus, ta main serrant fort la mienne lorsque tu m'as emportée, lorsque tu m'as volée.
J'ai dû renverser ton café en trébuchant pour me mettre debout .J'ai découvert après coup une marque de brûlure sur ma jambe, une tache rose qui me barrait la cuisse au-dessus du genou gauche. Je l'ai toujours, la peau est un peu fripée, on dirait de la peau d'éléphant.
Tu m'as fait marcher vite et j'ai cru que tu me raccompagnais à mon vol, que tu me conduisais à la porte d'embarquement où m'attendaient mes parents. J'ai trouvé le trajet long, beaucoup plus long qu'à l'aller. Sur les tapis roulants où tu m'entraînais, j'avais l'impression de voler. Tu as parlé à des gens en uniforme en me serrant contre toi comme si j'étais ta copine. J'ai hoché la tête et je leur ai souri. Tu m'as fait monter un escalier. Au début, mes genoux ont refusé de plier, ça m'a fait rigoler, puis j'ai eu les rotules en guimauve. De l'air frais m'a assaillie, une odeur de fleurs, de cigarettes et de bière. Des gens parlaient à voix basse quelque part et éclataient de rires suraigus. Tu m'as fait passer par des buissons pour rejoindre l'arrière d'un bâtiment,une branche s'est prise dans mes cheveux .On s'est retrouvés à côté de poubelles, ça sentait le fruit pourri.
Tu m'as de nouveau attirée vers toi et tu as incliné mon visage pour me dire quelque chose. Tu étais complètement flou, tu flottais sur les émanations de poubelles, ta bouche magnifique se tordait comme une chenille. J'ai tendu la main pour l'attraper, tu m'as emprisonné les doigts. La chaleur de ton corps s'est propulsée de ma main au haut de mon bras. Tu m'as dit quelque chose d'autre et j'ai hoché la tête, une partie de moi-même comprenait. J'ai commencé à me déshabiller, appuyée à toi pour retirer mon jean. Tu m'as tendu d'autres vêtements, une jupe longue, des chaussures à talons et tu t'es retourné.
Je dois les avoir enfilés, mais je me demande encore comment. À ton tour, tu as ôté ta chemise et, avant que tu en enfiles une autre, je t'ai caressé le dos. Il était ferme, chaud et du même brun que l'écorce d'un arbre. Je ne sais pas à quoi je pensais, ni même si je pensais, mais je me rappelle avoir éprouvé le besoin de te toucher, je me rappelle la texture de ta peau. C'est curieux de conserver la sensation et non les pensées qui l'accompagnaient, mes doigts en frémissent encore.
Tu as fait d'autres choses encore: tu m'as mis un truc qui grattait sur la tête et un autre foncé devant les yeux. Mes gestes étaient lents, mon cerveau n'arrivait pas à suivre. Quelque chose a atterri dans la poubelle avec un bruit sourd. Un truc gluant est entré en contact avec mes lèvres, du rouge à lèvres.
Tu m'as donné un chocolat ,riche, moelleux, noir avec liquide a l'intérieur .Les choses sont alors devenues plus confuses encore. En baissant les yeux, j'ai constaté que je n'avais plus de pieds. Et lorsqu'on est repartis, j'avais l'impression de marcher sur des moignons. J'ai commencé à paniquer, mais tu m'as prise par la taille, ton bras doux, solide, sûr. J'ai fermé les yeux et essayé de réfléchir. Je ne me rappelais plus où j'avais laissé mon sac, je ne me rappelais plus rien .
>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
Ca commence a devenir intéressant😏 ça vous plait? J'espère que oui!😄
VOUS LISEZ
Lettre à mon ravisseur
AcakÇa s'est passé comme ça. J'ai été volée dans un aéroport. Enlevée à tout ce que je connaissais, Tout ce qui était ma vie. Parachuté dans le sable et la chaleur. Tu me voulais pour longtemps. Et tu voulais que je t'aime. Ceci est mon histoire. Un...