"Vingt dieux, Marie ! s'exclama mon mari en entrant précipitamment dans la chaumière. Tu ne l'croiras point !"
Je berçais Emma et me tournais vers mon époux.
"Qu'est-ce qu'il y a, Pierre ? fis-je en mettant notre bébé dans son berceau.
- C'est l'Bête ! Il paraît qu'elle a été aperçue au village de Barjac !
- Si loin dans l'sud ?! J'croyais qu'elle hantait le Gévaudan ?
- J'l'pensais aussi, vingt dieux. Monsieur Jannot est parti à Bressou chercher des armes ! Il s'ra de retour dans quelques heures.
- Et s'il s'fait attaquer par l'Bête, on aura point d'arme pour nous défendre ! répliquais-je.
- C'est vrai. (Il réfléchit quelques instants.) La maison est un peu à l'écart du village, tu d'vrais aller chez ta sœur avec la petiote. L'Bête va rarement au cœur du village.
- Bonne idée, comme ça, j'pourrais lui rendre les pots à confiture qu'elle m'avait passé la semaine dernière. Elle acceptera pe'être de m'héberger quelques nuits. Mais... Et toi ?
- T'en fais pas pour moi, avec les autres hommes du village, on a décidé d'faire des rondes autour des champs, et si on croise l'Bête, on siffle et tout le monde s'ramène. Elle pe'être affronter un homme mais certainem'nt pas trente !
- Vingt Dieux, c'est mauvais pour nous, si l'Bête est vraiment ici ! m'exclamais-je. Promets-moi d'être prudent. Je n'veux pas me retrouver veuve et Emma n'peut pas vivre sans père. Pense à nous !
- Je pense à vous et au danger que l'Bête représente aussi pour n'tre famille. J'dois vous protéger."
Je m'approchais de lui et l'embrassais.
"Sois prudent mon guerrier ! J't'en prie.
- Dès qu'on s'ra sûr que l'Bête n'est plus dans le coin, je vous f'rais revenir à la maison.
- J'vais préparer quelques affaires. Il y a d'la soupe dans la marmite."
Le souvenir s'effaça et vint le moment où j'arrivais chez ma sœur.
"Bonjour, Hélène, saluais-je ma sœur.
- Ah ! Bon anniversaire, Marie ! Comment va ?
- Bien, bien. J'suis venue te rendre tes pots à confiture.
- Merci. Bonjour, toi, fit-elle à ma fille qui explosa de rire. Rentre donc ! M'man est s'ra contente t'voir. Et d'voir Emma aussi.
- Bien volontiers."
J'entrais chez ma sœur pour trouver ma mère assise dans sa chaise à bascule, en train de recoudre une chaussette.
"Bonjour, m'man.
- Ah, Marie. Bon anniversaire. J'suis contente de te voir ! Et t'amènes Emma ?! Donne-la moi, que je sers ma p'tite fille dans mes bras. (Je la lui donnais.) Elle est bien potelée, elle sera très jolie adulte ! Comme toutes les femmes de n'tre famille, j'vous l'dis.
- Où p'pa ? m'enquis-je.
- Tu l'connais, il est sans doute dans un coin, à dessoûler, répliqua ma mère.
- Marie, t'as entendu la nouvelle, sur l'Bête ? m'interpella ma sœur pour changer de sujet.
- Oui, Pierre m'en a parlé. Et je m'demandais si tu n'pouvais pas nous accueillir, Emma et moi, quelques nuits ? Avec n'tre maison qui est un peu à l'écart, Pierre pense qu'on est point en sécurité.
- Faut qu'j'en parle à Richards mais ça d'vrait point poser d'problème. Il accueillerait tout le village, s'il pouvait !
- Tout'façon, s'il voulait pas, il m'entendrait, Richard ! s'exclama ma mère. Je ne laisserais point ma fille et ma p'tite fille dehors avec c'monstre qui traîne.
- On t'reconnaît bien là, m'man, plaisanta ma sœur. Demain, c'est dimanche, avec la messe, j'espère que l'curé pourra nous protéger du démon !
- J'ferais pénitence au Seigneur pour qu'il nous aide dans c'cauchemar, dis-je à ma sœur.
- Excellente idée, pe'être qu'un jeûne de quelques jours d'vrait suffire ?
- Vingt Dieux ! Mes pauvres sottes de filles ! C'nest pas en vous privant d'manger que le Seigneur entendra vos prières. Pour ça, faut prier encore plus fort que le reste du monde !"
Je me tournais vers ma sœur.
"J'vais chez moi, chercher des affaires.
- Veux-tu que j't'accompagne ?
- Non merci, j'en ai point pour longtemps.
- Comme tu veux."
Je quittais ma fille sur un dernier bisous sur le nez et repartis chez moi. Je quittais la sécurité du village pour m'enfoncer légèrement dans la campagne.
C'est alors, que tout devint silencieux autour de moi. Je m'arrêtais pour observer les arbres. Il n'y avait plus d'oiseaux, plus d'insectes, juste le silence. Un frisson m'envahit. Je me mis à courir et la peur me prit au ventre lorsque j'entendis des pas derrière moi. J'en perdis mon bonnet.
Soudainement, une immense bête sauta devant moi, me forçant à m'arrêter. Un homme m'attrapa par les cheveux et le bras qu'il tira en arrière. D'un coup de pied, il me força à me mettre à genou et le démon s'approcha de moi pour me renifler... Je criais d'horreur en voyant ses longs crocs blancs mais l'homme me frappa durement à la tête.
"Silence, femme ! Est-ce elle, Charles ?"
La Bête hocha la tête comme l'aurait fait un humain et sourit, enfin, c'était tout comme, avant de se jeter sur ma gorge offerte.
Je hurlais de douleur. L'homme me lâcha, tout comme la Bête et ils s'enfuirent alors que je m'effondrais au sol. Je ne pouvais plus bouger, plus respirer, je n'étais plus et pourtant, je continuais de voir par mes yeux. Quelle était ce sortilège ?
Pierre arriva avec d'autres hommes. Il me prit dans ses bras.
"Non, non, non.... MARIE ! N'me quitte pas, mon amour !
- Elle est morte su'le coup, Pierre, intervint le forgeron. Toutes mes condoléances."
Les hommes enlevèrent leur chapeau et se signèrent alors que mon époux me berçait dans ses bras tout en pleurant.
Le souvenir s'acheva là et un autre me vint. Je ne voulais plus revivre tout ça ! J'en avais assez ! Pourquoi étais-je obligée de revivre tout ces moments douloureux ?!
Mais spectatrice, je ne pouvais pas intervenir sur le défilement de mes souvenirs. Ma louve gémit face à ma douleur qui s'en ressentait sur nos deux âmes.
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In Memorum
WerewolfJe m'appelle Marie. Je suis née en 1746, dans un petit village de Lozère et techniquement, je suis morte le jour de mes 21 ans, le 19 juin 1767, tuée par la Bête du Gévaudan. Mais mon histoire est légèrement plus compliquée que cela. Je vous laisse...