Chapitre 10 : Daemon

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Oh non... Pas encore un secret bizarre qu'elle allait devoir supporter... Aether pria les dieux, quels qu'ils soient, pour qu'elle n'ait pas à endurer plus de choses du genre une ombre en forme de loup, des pouvoirs certes très "cool" mais qu'elle ne voulait pas, et encore d'autres choses. Les dieux n'exaucèrent pas son vœu, peut-être parce qu'elle avait appelé Apollon, pensa par la suite l'adolescente. Zut, alors.

"Tu es l'envoyée d'Apollon, celle qui apportera la lumière à Atlantis."

Aether inspira. Expira. Inspira encore, tentant de contrôler la colère qui s'emparait d'elle et menaçait d'éclater au visage de la Pythie qui était certes sympathique mais qui commençait à sérieusement lui taper sur les nerfs.

Prophétie, mon œil ! railla-t-elle intérieurement.

Parce que, oui, elle pouvait comprendre qu'elle était sur une île qui n'était pas censée exister. Elle pouvait comprendre qu'elle était possédée par un espèce de loup venu d'un monde parallèle. Mais ce qu'elle ne pouvait pas concevoir, c'est que les dieux existent vraiment, qu'elle soit sous leurs ordres et que son avenir soit écrit à l'avance. Ah ça, jamais.

Parce que cela voulait dire que quelqu'un écrivait sur un grand livre l'histoire du monde ou une chose de ce genre (tout de suite, l'adolescente s'imagina un petit garçon de taille titanesque couché sur le ventre, dans l'espace, écrivant avec application dans  un livre flottant dans le vide, la langue sortie sous l'effort). Cela voulait aussi dire que son esprit était contrôlé par une force supérieure à son libre arbitre qui lui faisait croire que ses décisions en étaient alors qu'il n'en était rien.

Elle prit la parole:

"Non."

Eilyn, la Pythie et la Reine Phœbé échangèrent un regard perplexe. Elles se chuchotèrent quelques mots à l'oreille en jetant des coups d'œil à Aether puis Deyla prit la parole, le ton préoccupé:

"Tu penses ne pas être l'individu de la prophétie?
— Je pense que les prophéties n'existent pas.

Deyla tituba.

— Tu nies le pouvoir des dieux?
— Je nie l'existence des dieux tout court.

Eilyn lança un regard plein de compassion  à la jeune fille:

— Tu ne connais cet endroit que depuis peu, il est normal que tu ne reconnaisses pas leur existence. Plus le temps passera, plus tu croiras en les dieux atlantes. Tout n'est qu'une question de temps.
— Savez-vous que plus vous dites que je vais changer, moins j'en ai envie, juste pour vous prouver le contraire? soupira Aether, et la Reine lui lança un regard noir. Et puis que voulez-vous dire? Combien de temps vais-je rester ici?
— Le temps que tu arrives à communiquer avec ton daemon comme tu le souhaites, répondit Eilyn. Et puis... Nous ne sommes pas sûrs si tu peux repartir.

Liam, qui était resté en retrait jusqu'à présent, s'avança, s'inclina auprès de la Reine et prit la parole:

— Je pense qu'il vaut mieux qu'elle réfléchisse à tout cela pour l'instant, Votre Altesse. Sa vérité a changé, nous devrions lui accorder du temps pour se remettre.
— Excellente idée, approuva Phœbé qui semblait en avoir marre de devoir parler avec cette étrangère.

Aether se fit donc dégager de la salle et suivit fébrilement le geôlier. Ils furent rejoints par les deux hommes qui avaient monté la garde devant la porte. Ils marchèrent dans le dédale de couloirs pour arriver à la sortie (ou l'entrée, selon les points de vue). Aether redécouvrit Atlantis. Elle avait l'impression d'avoir passé une éternité enfermée.

Elle se tourna vers Liam:

"Dis-moi, qu'est-ce que c'est que cette prophétie d'Apollon ou je-ne-sais-quoi ?
— Elle dit exactement ces mots, répondit-il:
"Messager du Soleil lyrique
Sauveteur d'Atlantis
Il est la Lumière
Qui éclaire et guide les esprits
Et l'Ombre vengeresse
Sans quoi la Lumière n'est rien."
— C'est un poème? s'étonna Aether.
— Oui, les prophéties sont toujours des poèmes.

Ce sont des vers libres, remarqua l'adolescente. Je ne sais même pas pourquoi je pense à ça... Il n'y a pas d'école, ici.

Pas d'école?

— Liam, appela Aether, y a-t-il des écoles ici?
— Bien sûr. Il y en a près d'ici."

Comment pouvait-elle être bête à ce point... Évidemment qu'il y avait des écoles, sinon tous ces gens ne seraient pas instruits. Mais de toute façon, savoir qu'un poème, ou une prophétie - peu importait - était écrit en vers libres ne règlerait pas tous ses problèmes. Cela servait juste à lui rappeler qu'elle ne verrait probablement jamais ses amis et sa famille.

Elle n'avait pas réagi quand Eilyn avait déclaré qu'elle ne pouvait peut-être pas rentrer, mais elle découvrait à présent l'ampleur de cette phrase. Elle vieillirait dans cette fichue île sans vraiment savoir ce qui était advenu d'elle au Parthénon et sans même avoir dit au revoir à ses proches.

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Roulée en boule dans sa cellule qui avait conservé ses meubles (peut-être que le souhait de la Reine pour qu'elle redevienne une prison froide et nue n'était pas acceptable), Aether réfléchissait pour la millième fois sur son sort. Elle réfléchissait depuis maintenant trois heures d'affilée, et elle en avait déduit ceci: si elle n'avait plus besoin d'oxygène, alors elle n'avait plus besoin de sang, ou du moins pas autant qu'avant; si elle avait moins besoin de sang, son cœur n'était pas nécessaire non plus; si elle était vraiment l' "envoyée" d'Apollon (elle en doutait), alors elle possédait peut-être des pouvoirs magiques, si on pouvait les appeler ainsi, supplémentaires; Eilyn, Deyla et Phoebé connaissaient beaucoup de choses sur la défense de l'esprit alors que plus tôt elles lui avaient dit qu'elles ne savaient pas grand-chose... Était-ce un genre de secret qu'elles ne pouvaient pas divulguer ou de la modestie un peu poussée? Elle ne savait pas. Mais cela faisait trop, bien trop de révélations en peu de temps.

Je veux partir d'ici, songea avec désespoir la jeune fille.

C'est alors que son regard tomba sur son ombre. Son daemon.

Pourquoi pas?

Elle corrigea sa posture pour se placer en tailleur, le dos droit, et posa ses mains sur ses genoux; elle ferma les yeux et se concentra pour essayer de faire le calme en elle. Après seulement, elle tenterait d'établir une communication entre le monstre ilion et elle.

Quelques secondes passèrent, et Aether se sentit horriblement ridicule. Par tous les dieux, mais qu'était-elle en train de faire? Une copie comique de la méditation des chinois? Le rouge lui monta aux joues, puis elle se ressaisit: personne ne l'avait vue, il était inutile de s'agiter ainsi. Elle recommença sa méditation, cette fois dans une position un peu plus commune: elle entoura ses genoux de ses bras et releva la tête en arrière, s'appuyant sur le mur.

Un calme étrange l'envahit, un calme qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. D'habitude, quand le silence se faisait, ses oreilles bourdonnaient désagréablement; cette fois-ci, ce n'était pas le cas. Le silence qui régnait était délicieux et son esprit était vide de toute pensée. Elle se concentrait simplement sur sa respirati... Aether ouvrit brusquement les yeux. Elle venait de remarquer que non, elle ne respirait pas. Elle fixa sa poitrine, en état de choc. Depuis quand avait-elle commencé à... ne pas respirer? Elle ne s'en était même pas rendu compte.

Plus troublée que jamais, elle recommença sa méditation. Elle attendit que le calme vienne en elle, ce qui se fit après une minute environ.

Elle ne faisait attention qu'à sa façon d'être, ses membres, sa position, ses muscles. Elle sentit qu'elle vivait. Une légère brise lui caressa le visage, et elle se sentit renaître. C'est là qu'elle sentit sa présence.

Celle de son ombre. Celle du loup.




Les Ombres d'AetherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant