Partie 7 - Nice

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Ma France à moi — Partie 7 — Nice


Il était tôt. Le ciel était encore en mode nuit. On avait l'impression qu'on avait fait erreur sur l'heure de départ. Mais non, nos réservations pour le TGV étaient bien pour 5 h du matin. Étant insomniaque, pouvoir m'endormir était une bénédiction en soi. Devoir me réveiller autant de bonne heure était un grand sacrilège. Cela provoquait souvent ma fureur, ou du moins ma mauvaise humeur. Ma mère, à l'époque bénie où je n'avais pas à me soucier de quoi que ce soit, en avait été victime plus d'une fois. Si elle avait le malheur de me lever avant midi, la tempête de sacres*1 s'abattait sur elle. 


Cette fois-ci, la colère des dieux avait été apaisée avec le fait qu'on prenait le train. Ce n'était finalement qu'un petit prélude avant le retour à l'univers des rêves. Je m'assis confortablement, me préparant pour le rituel d'ascension. Il fut vite interrompu, car, grande surprise, on eut comme voisins les Allemands punks de la soirée d'avant. Même en ayant voulu les ignorer et dormir malgré cela, ils étaient trop bruyants pour que je le puisse. Je me suis résigné à socialiser. Vu mon état, je fonctionnais en automatisme. J'étais le robot que la société aurait bien souhaité que je sois. Mes réponses étaient vides et sans réflexion, je n'apportais rien de constructif aux conversations et j'entendais ce qui se disait sans écouter. J'étais un figurant. 


Les punks nous quittèrent à un arrêt, le nôtre étant plus loin. C'était mon cue*2 pour somnoler enfin. Mes amis avaient compris qu'il valait mieux me laisser faire, même Éric. Le sommeil lourd fit paraître l'arrivée comme instantanée. Il faisait maintenant clair, et l'on put voir au-dehors qu'on avait encore changé de paysage. En une semaine, on avait passé de la citadelle française, à une ville germanique pour finir dans un panorama digne des tropiques. Les palmiers nous donnèrent l'impression de nous être trompés de pays. Cette impression s'accentua quand on sortit à l'extérieur. La chaleur nous frappa d'un coup de poing à travers notre corps entier. Je suais comme une vieille femme en ménopause. Le poids de la température nous forçait à nous plier. Notre sac à dos sembla avoir pris davantage de masse. On marchait comme le bossu de Notre-Dame. Un jeune homme parut comprendre notre douleur et nous offrit une bière. Sur le coup, on hésita, car on était dans un lieu public, et même la bière qu'il nous tendait n'était pas enveloppée dans un sac en papier. On lui fit la remarque et il nous dit tout surpris : « Vous n'avez pas droit de boire d'alcool où vous voulez ? » On lui fit signe que non. Saisissant qu'on ne risquait rien, on accepta l'invitation malgré l'heure matinale. La bière avait un goût différent. Une saveur d'interdit. C'était plus qu'un rafraîchissement, c'était une expérience. Je pouvais voir en direct ce que le conditionnement social m'avait fait. Même si je savais que c'était permis désormais, je sentais tout de même un malaise à l'intérieur de moi. J'avais l'impression d'être amoral. Je me rassurais en regardant aux alentours. Personne ne semblait se scandaliser de ce qu'on faisait. Cette situation détonnait dans mon cerveau. C'est comme si je rêvais tout cela. Il y avait une bataille entre mon conscient et mon inconscient. Eh oui, tout ça pour une bière !


Après avoir remercié notre bon samaritain, il fallut se décider à se rendre à notre arrêt d'autobus, qui était à quelques rues plus loin. La chaleur fit vite évaporer de nos corps la bière ingurgitée. La marche fut pénible. Éric n'en pouvant plus enleva son chandail, il était maintenant torse nu. On remarqua quelque chose d'étrange. Tous les gens autour de nous portaient des manteaux ! D'ailleurs, des vieillards assis sur un banc nous regardaient l'air perplexe. C'était bien octobre pour eux, mais pour nous c'était comme l'une des journées les plus chaudes de nos étés ! C'est là qu'on vit qu'on était de vrais Nordiques. J'avais envie de dire aux p'tits vieux que nos igloos tofferaient jamais la run*3 ici, mais j'avais décidé de laisser faire. On arriva finalement au fameux autobus. Notre auberge à Nice se trouvait sur une montagne : le Mont-Boron. Le bus quitta le centre-ville et se rendit vers celle-ci. La voie commença à être franchement étroite. À un point que de chauffer un autobus dans celle-ci tenait de l'art. Le véhicule devait parfois reculer et avancer pour tourner dans une rue. Cela devenait de la haute voltige. J'étais encore heureux de ne pas conduire. Et puis bang ! Notre transport frappa un autre autobus en avant de lui. Il remit ça par deux fois : Bang ! Bang ! Mes amis et moi, nous nous regardions, ne comprenant pas ce qui se passait. Ensuite, on observait les passagers. Cela nous sauta aux yeux immédiatement. Une absence totale de réaction. Tout était normal. Certains continuaient à lire leur livre, d'autres somnolaient dans leur coin. Aucune once de panique ou de questionnements. Chez nos comparses de voyage, il ne se passait rien. Il fallait croire que de rentrer dans les véhicules était de coutume dans ce coin de pays. Nos démolitions-derby leur auraient semblé donc bien monotones.

Ma France à moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant