Chapitre 21 : « Les Premiers (1) »

34 1 0
                                    

     Plus tard dans la journée.

          Seuls les cris des nourrissons brisaient l'air lourd du crépuscule naissant. Des femmes hagardes scrutaient l'approche inquiétante de l'ombre lunaire qui s'élevait à l'horizon. Cette journée noire s'achevait enfin, sur un bilan déplorable et avenir par trop incertain. Mycènes était entourée d'un charnier de corps démembrés, de sang séché, d'armes plantées, coupées, brisées ; l'armée n'existait plus. Tous les vaillants soldats avaient été tués et seuls survivants de cette catastrophique hécatombe, une dizaine de jeunes hommes, dont Jayatu et Pratto. Des anciens, il ne restait qu'Aristéon, borgne, le bras gauche amputé pour éviter une infection, son pied droit également disparu dans la bataille.

          La petite salle initialement prévue pour tenir lieu d'infirmerie s'était vue agrandie, avant d'abandonner l'idée de ne pas occuper la totalité du palais, tant les blessés, les trépassés et les survivants étaient nombreux. Certains chanceux furent enterrés avec leurs corps, d'autres n'avaient qu'une tête, beaucoup disparurent tout bonnement. Pour toutes les familles, il s'agissait d'une tragédie encore plus importante que la mort elle-même. Quels êtres vivants étaient capables de tuer aussi sauvagement leurs adversaires ? Et comment leurs victimes parviendraient à rejoindre l'Elysion, dans ces conditions ?

          Du haut du trône des rois de Mycènes, le menton posé sur sa main repliée, les yeux à demi fermés pour mieux observer les allées-venues, Athéna songeait à tout ce malheur. Après la mort de la femme brune de l'armée de Poséidon, Zéphyr était arrivé face à elle, lui annonçant qu'Erichtonios, Horos, Ji Chang et Ji Fa, se trouvaient au palais à se faire soigner par Odysséus. Le roi d'Ithaque avait amené avec lui les trois derniers blessés. Si l'état de Samson et Diach paraissait inquiétant, Mû, pour sa part, était dans un état critique. Astéa, qui s'était réveillée à ses côtés, le veillait en pleurant, sourde à toutes les paroles réconfortantes que les plus compatissants se permettaient de lui formuler.

          De tout ce malheur naquit néanmoins un espoir, car la foule de héros qui s'étaient abattus sur Mycènes avait réglé de nombreux soucis. Le roi toujours enfermé dans sa chambre, fou de la main de Poséidon n'aurait pas été capable d'aider grand monde. Son général d'armée Aristéon, encore inconscient et gravement mutilé, se trouvait entre la vie et la mort. Aucun soldat vaillant n'était en mesure de protéger la ville. Il ne restait que les invités qu'Athéna avait appelés... Et ils avaient efficacement remplacé cette absence de gouvernement. Désignant Athéna comme gérante de Mycènes, Odysséus avait ensuite affecté des postes à tous les « héros », certains se pliant plus facilement que d'autres à ses ordres.

          Dans un coin de la salle du trône, Jayatu était assis sur un banc, la tête posée sur le mur derrière lui. Sa fatigue physique ne représentait rien face à celle morale, éprouvée durant toute cette journée de dingue. Du matin jusqu'au soir, le monde autour de lui s'était écroulé... délité en petit morceau, à chaque minute qui s'était écoulée. Même si aucun bâtiment n'avait été détruit, la vie qu'il avait connu, les amis qu'il avait, les croyances auxquelles il avait toujours donné foi... tout était parti en lambeaux douloureux, telle une peau morte qu'il fallait arracher violemment pour ne plus souffrir. D'abord les atlantes et leur île, puis le cosmos, ensuite Athéna et enfin les héros chantés par les aèdes (1)... Ses yeux clairs se tournèrent vers la déesse, méditative, encore assise sur le trône de Mycènes.

* Athéna... je ne suis... qu'un homme... * pensa-t-il amèrement.

          Cette constatation le mina, lui faisant monter ses pieds sur le banc, entourant ses genoux de ses bras, il plongea sa tête entre ses jambes. Il était tombé amoureux d'elle au premier regard... pas étonnant ! C'était une déesse ! Elle rayonnait à présent d'un charme et d'une puissance encore plus importante. Lui n'était qu'un homme, qu'un second dans une armée, sans titre, sans famille — sans rien. Il était né bâtard d'un barbare (2) et n'avait aucun droit sur une citoyenne, alors une déesse... ! Il s'en voulait d'autant plus qu'il devrait plutôt prier pour la survie d'Aristéon, son mentor et son père adoptif, mais son cœur et sa tête n'étaient remplis que d'elle...

Mésôn - Partie 1 : AtlantisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant