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Le lendemain matin, Aubrey retrouve le chemin du parc. C'est étrange, on dirait qu'une routine s'installe. Si d'ordinaire, elle ne supporte pas qu'on lui parle de son problème (elle n'a besoin de l'aide de personne, elle est suffisamment forte pour se gérer toute seule), ce T est tellement intriguant qu'il en devient fascinant. C'est surement la raison pour laquelle elle fait le déplacement chaque matin. Le plus important à ses yeux est que lui, peu importe qui il est, semble la prendre au sérieux.

Il est dix heures et aujourd'hui, le temps se montre inhabituellement clément : l'air caresse la peau comme une paume chaude pressée sur des joues rougies par le froid hivernal et les rayons du soleil viennent réchauffer les promeneurs. Le printemps se rapproche progressivement et bientôt, les arbres seront en fleurs, pareils à de grands bouquets remplis de promesses.

La végétation est belle et variée dans le parc où Aubrey a passé son enfance, cependant, en hiver, on retrouve inévitablement la même froideur, ce paysage austère, sévère et insensible. La jeune femme a un regard pour les arbres dépourvus d'un vestige de feuillage. Squelettiques, sombres et décharnés comme ils le sont, on pourrait même les trouver effrayants. Aubrey elle-même a un mouvement de recul en laissant son regard s'attarder trop longtemps sur cette image et l'insoutenable pitié qu'elle suscite en elle.

Pourtant, ces arbres sont simplement seuls. Abominablement seuls et tristes. Au printemps, Aubrey sait qu'ils retrouveront enfin leurs couleurs. Peut-être pas tous, certains seront trop vieux ou trop affectés par le temps, mais elle espère que cette vitalité et ces teintes splendides reviendront pour la plupart. Car autrement, qu'adviendra-t-il ?

La jeune femme parvient finalement jusqu'au banc où elle s'empare machinalement du morceau de feuille blanche, toujours disposé au même endroit. Une grande inspiration plus tard, elle procède à la lecture de sa conversation avec T. Tandis qu'elle relit ses échanges avec l'inconnu, Aubrey réalise que la peur a laissé place à la certitude réconfortante qu'il n'est en aucun cas malintentionné.

Elle observe les traces laissées par l'encre noire qu'il utilise, et se satisfait de l'effet de contraste avec ses propres lettres inscrites au stylo bleu.

A cause des intempéries du soir, la feuille commence à prendre des tons gris et ses coins sont froissés, légèrement déchirés par endroit. Tout cela a commencé il y a deux jours à peine, mais ce papier semble provenir d'un autre espace-temps, comme si une journée d'Aubrey était pour lui l'équivalent d'une vingtaine d'années.

Les doigts de l'adolescente caressent doucement la surface du document. La réponse de T l'a surprend, l'inquiète et la déçoit un peu également.

Tout compte fait, il faut croire qu'il ne la comprend pas.

"Mange.

-T."

"Pourquoi ?"

"La question n'est pas pourquoi, mais pour qui.

-T."

"Dans ce cas-là, pour qui ?"

"Pour ceux que tu aimes. Et crois-moi, j'en fais partie.

-T."

AubreyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant