Quand un père, pour la première fois depuis 16 ans, passe en repas à la maison en compagnie de sa famille, il se rend compte a quelle point celle-ci a souffert tout au long de ces années. Surtout quand sa femme lui apporte une grosse marmite en fonte, noire de coulis cramé, fumante, et dégageant un parfum semblable a celui des poubelle quand la même femme en question pars en vacance un mois et oublie de les sortir. Dans ces cas-là, cet homme hausse les sourcils, fait une moue en regardant un par un chaque membre de sa famille, et instinctivement, cherche son téléphone dans l'espoir de pouvoir commander des pizzas.
-J'ai fais ton plat préféré, Py! Le pot-au-feu! Tu sais comme celui qu'on avait mangé, en Finlande! J'ai essayée de refaire le même mais comme j'avais pas la recette sous les yeux ça a été un peu plus laborieux que prévu. J'ai fais une sauce un peu spéciale. Mais a mon avis, ca devrait vous plaire!
Mon père nous lance un regard désespéré, et Maxime hoche la tête, l'air de dire "oui oui, on vit ça tous les jours".
-Mmmm! Ça a l'aire délicieux ma chérie!, dit papa d'un air faussement enthousiasme.
-Ne dit pas ça avant d'y avoir goûté voyons!, répond-elle.
-Oui effectivement j'aurais peut-être pas dû, murmure-t-il sans que maman l'entende pendant qu'elle lui sert une énorme plâtrée de bouillie verte et brune, trempant dans une sauce bouillonnante.
J'étouffe un rire dans ma serviette.
-Bon appétit!, lance joyeusement ma soeur en faisant tournicoter sa cuillère au dessus de sa tête.
Trois paires d'yeux se fixent sur Pierre-Yves. Il pioche prudemment un bout de choux dans son bol, déglutit une fois puis le porte a sa bouche. La feuille disparaît et papa se met a mastiquer. Il nous fait un pauvre sourire, la bouche pleine, et lève son pouce en signe d'approbation.
-T'es pas mort? Alors, on peut manger!, dit ma soeur avant de plonger sa cuillère dans son bol.
-Maxime...!, la gronde gentiment ma mère.
Nous fourons toutes les trois un bout de mixture verdâtre dans notre bouche.
Au bout de trois mastications, je vois le sourire de Maxime fondre doucement sur son visage pour laisser la place à une sorte de dégoût profond. Puis je vois maman poser sa cuillère et ses joues s'empourprer. Je sens a mon tour un gout aigre me brûler la langue. Je plaque mes paumes sur ma bouche pour m'empêcher de tout rendre sur place.
-Vous pouvez aller cracher les enfants.
Maxime et moi nous précipitons jusqu'a la poubelle.
-Moi aussi je peux? S'il te plait!
Maman déglutit difficilement.
-Oui...tu peux.
Papa nous rejoint en deux enjambées et crache tout ce qu'il peut dans le sac de plastique noir.
-Trois minute avec ce truc dans la bouche? Bravo papa, même moi j'aurais pas tenue!, dis-je.
Maxime se relève, va prendre son verre d'eau et le boit d'un trait.
-Moralité, dit-elle en levant son verre, papa n'a aucun avenir dans la voyance!
Revenue a ma place je lève a mon tour mon verre.
-Et maman aucun dans la cuisine!


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