La cloche émet un bruit strident. A regret, j'éteins mon téléphone portable, le glisse dans ma poche et sors des toilettes, en route vers la salle de physique.

*

La journée fût d'un morosité sans nom. Tiphany Mensom tenta à trois reprise de savoir où j'avais dénichée ma salopette (sachant qu'elle appartenait à ma mère étant petite, j'aurais de toute façon été incapable de le lui indiquer), Mathis Queneder fit des allusions pleines de sous-entendus sur les pensées secrètes qu'il tenait à mon égard (non pas qu'il soit moche ou même ennuyeux, mais je m'étais jurée de ne plus sortir avec un garçon étant au lycée. J'avais déjà vécu de petites histoires, courtes mais lourdes de conséquences, qui m'avaient poursuivies plusieurs années plus tard), et Mme. Delacourt me demanda une fois de plus de rédiger une dissertation de type philosophique, me laissant le délai d'une semaine. La question était : « dire non, est-ce facile ? ». Pour une fois, elle avait été gentille. J'avais déjeuné une espèce de salade de tomate accompagnée d'une espèce de bout de semelle couvert de panure, qui avait pour nom sur le menu du self « poisson pané ». J'avais partagé ce maigre repas avec une amie que j'avais rencontré très tôt dans ma scolarité, Johanna Speger. Nous avions été très proches durant la primaire et le collège, mais finalement ce dernier avait eu raison de nous. Nous étions toujours amies, mais j'avais préféré la solitude tranquille de mes bouquins, et elle la compagnie extravagante de béquasses mâchant du chewing-gum à longueur de journée et organisant des virées shopping tous les samedi. Non pas que je déteste les magasins de fringues, mais je les préférait sans amie, sans vendeuses, et si possible seule dans le magasin. Autrement dit, la vente en ligne.

Le bus a un soubresaut et freine brusquement, envoyant mon crâne directement à la rencontre de la poignée en plastique collé au dos du fauteuil de devant. Je decend le marche pied en titubant presque, la main collé sur la bosse qui commence à percer sur mon front. Le car redémarre en un crachotement de fumée, emplissant toutes mes cavitées respiratoires de ce produit chimique appelé gazole. Je me plis en deux et essaye d'expulser le plus d'air toxique de mes poumons en toussant jusqu'à m'en arracher la gorge. Je sens venir des haut-le-coeur et me redresse, respirant difficilement par le nez. Je marche en direction de la maison, petit point gris entre les arbres. Je saisi mon téléphone et baisse le clapet. Et ce stupide inconnu qui ne répond pas. Je fais le bilan de ma journée : d'abord joyeuse (grâce au pain perdu) et excitante (le message envoyé à Andrew), puis monotone (le déjeuné), et enfin décevante (la bosse, la fumée,...). Conclusion : Journée déprimante. Je marche plus vite, d'un pas rageur. Je me sens sur les charbons ardents, sur le point d'exploser, et il vaudrait mieux pour moi que ce soit en territoire connu, genre ma chambre, et plus précisement mon lit. Avec mon carnet et mon bic noir, ce serait le top ! Voilà ce que je fais, quand je ne lis pas, quand je ne suis pas au lycée ou quand je ne me dispute pas avec ma sœur : j'écris. J'écris des tonnes de choses, des tonnes de choses absurdes qui me passent pas la tête, que je ne relis jamais et que je ne fais lire à personne. Mes pensées, mes rêves, mes angoisses, je les couchent en noir sur le papier, puis je tourne la page et je les oublient, comme on oublirais la photo d'un aïeul dans un vieil album photo. Je pousse la porte de ma maison, fais voler mon sac à travers la pièce pour qu'il aille rebondir contre un mur et atterir sur l'étagère prévu à cet effet. Je monte les deux escaliers en trombe, arrache mes converses usées jusqu'à la corde, défait rageusement les bretelle de ma salopette et me réfugit sous mon plaid gris. Je saisi mon oreiller, enfouis mon visage dedant et me met à déverser des torrents et des torrents de larmes. Le peu de mascara que j'applique sur mes cils le matin part en courants de charbon sur le tissu. Ce genre de crise m'arrive souvent. Ça commence par une bonne journée, ça se dégrade de plus en plus et quand la fin de journée est mauvaise, mon cerveau l'analyse comme une catastrophe ; le soir est donc consacré à une grosse flopée de larme et une lamentation sur ma pauvre petite personne. J'imagine que, à défaut d'aller souvent au toilette, ça doit-être par les yeux que sort tout le liquide que j'ingurgite...Un vibrement sur ma cuisse me fait revenir à la réalité. J'émerge de la couverture et m'assois brutalement. Je ne dois pas être belle à voir. Les joues barboulliées de mascara, les cheveux en bataille et les yeux gonflées d'avoir pleuré. Je m'empare de mon téléphone.

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De : INCONNU -06 12 66 33 89-

Bonsoir ! Non, je n'ai pas retrouvée son numéro! Mais j'ai réussi à joindre mon frère, qui me l'a passé. Affaire résolue, donc ! Comment allez-vous ? Depuis hier je veux dire ;)

Je lisse prestement mes cheveux derrière mes oreilles, comme s'il pouvait me voir. Je souris malgré moi. Alors que je m'apprête à répondre, mon mobile vibre une deuxième fois.

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De : INCONNU -06 12 66 33 89-

PS : désolé de ne pas vous avoir répondu plus tôt, j'ai eu quantité de travail aujourd'hui. Mais j'ai été agréablement surpris par votre message !

Je rosis de plaisir

Renommer.

INCONNU en Andrew

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Oui.


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