Croisades - tome 1

IV Sacrifice

Erwin ne se nourrit qu'un peu de pain et de fromage au lever, ce qui était imprudent compte tenu du nombre de repas qu'il avait sautés ces derniers temps. Pourtant, il n'avait pas faim et se sentait incapable d'avaler autre chose. La honte le submergeait de l'intérieur et l'empêchait de penser clairement à un moyen de s'en sortir. Il avait fait des promesses la nuit dernière. Pire, il avait prit un plaisir considérable à se faire chevaucher par une bête démoniaque. Si au début, ça avait eu des airs de sacrifice, la situation était rapidement devenue une simple histoire de coït. En fait, il s'était même montré pire que le démon, qui était obligé de procéder de cette manière pour survivre. Levi était un succube et les succubes qui ne se nourrissaient pas (lors d'un rapport sexuel accompli) s'affaiblissaient jusqu'à disparaître.

Le prêtre se dirigea dans le jardin au début de l'après-midi, où il savait qu'il pourrait retrouver le prieur. L'homme, déjà petit, disparaissait presque complètement derrière les tiges de haricots dont il s'occupait. Quand il se redressa et que le soleil éclaira son visage, Erwin trouva surprenant la jeunesse de son visage. Jusque là, il n'avait pas vraiment fait attention à l'homme, tout obsédé qu'il avait été par un moyen d'arrêter Levi. La situation ne lui laissait plus ce sentiment d'urgence qui lui nouait les tripes, même si elle était pire que jamais le concernant.

En le voyant, le prieur sortit de son champ pour le rejoindre, un large sourire sur les lèvres. Le matin, il n'avait cessé de le remercier, mais avait semblé se retenir de dire quelque chose. Erwin savait que maintenant qu'il s'était bien sustenté et qu'il était sur le point de partir, il ne pourrait plus échapper à cette question qui se reflétait dans le regard sombre et méfiant du chartreux.

« Vous semblez aller mieux, le félicita le prieur.

-Merci. Comment va frère Marco ?

-Beaucoup mieux, je crois que sa rémission sera bientôt totale. Grâce à vous. Je ne vous remercierai jamais assez pour ce que vous avez fait.

Erwin ne répondit rien. Sur un geste de l'autre homme, il le suivit sur un sentier baigné de soleil. L'hiver touchait déjà à sa fin, bien qu'ils doivent encore se couvrir de laine.

-A ce propos, osa finalement le prieur, comment avez-vous fait ?

Erwin ne pouvait pas mentir. L'homme avait raison de s'inquiéter. Le prêtre n'était pas un exorciste, il n'avait jamais combattu les démons de sa vie. En fait, il n'y avait jamais vraiment cru. Aujourd'hui, il n'avait pas d'autre choix.

-Je me suis offert à lui, avoua-t-il.

Le prieur ne dit rien dans l'immédiat, il ne ralentit même pas le pas. Son visage était soucieux, mais pas surpris. Il s'y attendait.

-Je ne peux pas vous laisser dans cet état sans rien faire alors que vous vous êtes sacrifié. Maintenant que nous avons plus de temps, nous allons pouvoir trouver un moyen de venir à bout de ce succube une fois pour toute. Nous pourrions l'enfermer le temps qu'il perde toute sa vitalité. Ce serait difficile, mais si nous prenons toutes les précautions...

-Non, le coupa Erwin sur un ton plus tranchant qu'il ne l'aurait voulu. J'ai fait une promesse. Bientôt, il me marquera.

-Vous ne pouvez pas le laisser faire une chose pareille ! Profitons justement de ça pour en finir avec lui !

Erwin ne dit rien. Son regard résolu était fixé sur la forêt bordant l'abbaye.

-Vous ne pouvez pas être sérieux, s'alarma le prieur. Il s'agit de votre âme, de votre vie aussi ! Vous êtes jeune, vous n'avez pas le droit d'abandonner la vie précieuse que Dieu vous a donnée !