V La chasse

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 Erwin et le prieur chevauchaient au trot en direction de leur prochain objectif. D'après le moine, la ville était le meilleur endroit pour retrouver et tuer un succube, à cause de tous les habitants amassés et de leur propension au péché – en particulier celui de chair. Si Erwin n'était pas ravi de devoir se plier aux exigences de l'érudit, il devait bien reconnaître la prévoyance de ce dernier. Au moins, il avait pensé à emporter des provisions et le prêtre avait l'estomac suffisamment rempli pour tenir le reste du voyage. Il n'était pas satisfait cela dit et lorgna sur la porte d'une auberge qu'ils croisèrent le premier soir. Mais malgré une proposition armée d'arguments imparables – la sécurité, le confort des lits, le repos des chevaux – le prieur ne céda pas, arguant qu'ils devaient se dépêcher avant que Levi ne fasse d'autres victimes.

Ils voyagèrent trois jours entiers, ne dormant que quelques heures vers midi, s'évitant ainsi le danger des loups. Erwin ne parvenait presque pas à fermer l'œil, dans l'attente d'une caresse ou d'un souffle tiède sur sa nuque. Il avait songé plusieurs fois à talonner son cheval et à les faire disparaître dans la forêt, loin du prieur, mais ce n'était pas raisonnable. Ce n'était pas bien. Et d'après le prieur, le fait d'éliminer ce succube pourrait laver son âme. Erwin n'étant pas particulièrement impatient de rôtir en Enfer, il préférait se conformer aux ordres du moine.

Les reliefs de la ville fortifiée se dessinèrent sous le ciel rose de l'aube du quatrième jour. Erwin remua un peu ses jambes, engourdies par la chevauchée. Il ne monterait plus un cheval avant que ça ne soit vraiment nécessaire et se délecterait de flâner à pieds dans les rues. Si le prieur le lui permettait...

Etant des hommes d'Eglise, on les laissa entrer dans la ville sans discuter et ils se mirent en quête d'une auberge dans le centre. Ils finirent par dénicher un hôtel, coincé entre plusieurs maisons à étages, dans une rue sale et bondée. Ils n'avaient même pas de quoi garder leurs chevaux, que les deux hommes durent confier à la garde de la ville. Erwin espérait qu'il pourrait retrouver sa monture en bon état, il avait fini par s'attacher à la bête. En plus, il avait promis à son propriétaire de le lui ramener sain et sauf. Songeant à la famille Braus, Erwin se dit qu'ils se demandaient sûrement s'il lui était arrivé quelque chose.

La chambre de le prieur et lui devaient partager était minable. Deux lits minuscules étaient collés à deux des murs de la chambre, qui n'avait de place que pour eux et un petit meuble sur lequel était posé une bassine pour se débarbouiller le matin. Erwin fit la grimace, mais le moine semblait ravi. J'ai vécu dans de pires situations, se dit Erwin pour se rassurer.

Une fois installés – ce qui ne prit guère de temps – le moine exposa son plan au prêtre. Ils allaient interroger les occupants de l'hôtel pour dénicher les signes d'une présence démoniaque, puis lui tendre un piège à l'aide d'un appât. Le prieur semblait désolé de devoir user ainsi d'une bonne âme innocente, mais ils n'avaient pas vraiment le choix. Erwin acquiesça en silence, même s'il n'était guère convaincu par l'efficacité de cette méthode.

Effectivement, le plan du prieur n'était pas brillant. Il y avait bien trop de pécheurs dans cette ville et n'importe quoi, le moindre ivrogne, pouvait être interprété comme un signe d'une présence démoniaque. D'ailleurs, songea Erwin, Levi n'était peut-être pas le seul démon présent ici. Une prostituée vint même frotter sa gorge à découvert contre son visage, alors qu'il avait son col bien visible. Il la repoussa doucement et lui offrit une pièce, espérant éviter un scandale. Heureusement pour lui, elle se contenta de lui jeter un regard mauvais avant de faire disparaître la pièce et de tourner les talons.

A la nuit tombée, le moine décida enfin qu'ils pouvaient arrêter, mais seulement pour se coucher. Il gardait avec lui une grosse croix et amena la bassine d'eau, qu'Erwin bénit, entre leurs deux lits, dont les têtes se touchaient presque. Le prêtre garda aussi une croix sous son oreiller, puis s'allongea sur le dos, fixant le plafond. Il entendait les cris de la population nocturne, en bas de leur minuscule fenêtre qui laissait passer un courant d'air froid. Ses pensées étaient toutefois concentrées sur une toute autre chose. Ou plutôt un tout autre quelqu'un.

Croisades - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant